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II. Les dieux grecs 1. Zeus
Zeus est le dieu suprême. Il n'est guère de domaine dans la vie
humaine sur lequel il n'ait pas toute autorité. A preuve les titres et
les épithètes innombrables accumulés sur son nom. On en
arrive parfois à un point tel qu'aucune notion divine antique ne semble
plus pleine. Certains auteurs ont prétendu que par instants, le
monothéisme a été sur le point de se réaliser en
Zeus. C'est dire que le Zeus de l 'époque classique n'est pas du
tout une divinité simple.
- Origines et légendes
- Le dieu olympien
Un historien de la religion grecque a écrit : Pour être
franc, notre connaissance des Grecs qui envahirent la péninsule se borne
presque uniquement à un seul mot, mais ce mot a une importance
capitale : c'est le nom de Zeus. Zeus est d'abord le dieu que tous les
peuples indo-européens ont reconnu sous des noms variés mais tous
dérivés de la même racine. Zeus Pater = Jupiter romain =
Dyans Pitar indien.
Que voulait donc dire à l'origine cette racine unique ? A
l'origine : briller. Le feu qui brille, puis le ciel en
général. Il est donc typiquement un pur Hellène. Il fait
réellement partie de l'héritage qu'amènent avec eux les
envahisseurs nordiques.
Son épithète habituelle chez Homère est rassembleur
de nuages, et aussi dispenseur de pluie ou dispenseur de
foudre, la foudre étant avec l'aigle l'attribut de Zeus dans
l'iconographie traditionnelle.
A partir de l'époque homérique, notre Zeus ouranien a sa
demeure sur l'Olympe, dans l'aithèr. Un dieu comme celui-là
est alors évidemment le dieu suprême. Il semblait normal aux Grecs
de se l'imaginer ayant toujours été tel qu'il était. Son
existence et sa majesté ne se discutaient pas parmi les mortels. Car ce
dieu suprême est aussi un père de famille autoritaire. Il dirige
l'Olympe comme un seigneur commande à ses vassaux un tantinet turbulents.
Devant lui, l'homme est sans ressources. Ce Zeus-là est bien celui d'une
société féodale, patriarcale, comparable à celle des
Achéens. Tel est le Zeus des premiers âges. Mais il y a un autre
Zeus.
- L'autre Zeus
L'histoire de la naissance de Zeus nous amène en Crète, ce qui est
fondamental. La Crète a connu en effet la plus brillante des
civilisations pré-helléniques.
Selon la légende du Zeus crétois, avant la
génération olympienne des dieux, il existait une
génération de Titans, fils et filles de la Terre, Gaia et
du Ciel Ouranos. Nous assistons au mythe fameux de l'hiérogamie du
Ciel et de la Terre. Les plus célèbres de ces Titans
étaient Rhéa, nom que l'on retrouve à la fois pour la
mère de Zeus et pour celle de Romulus et Rémus, et Chronos, le
temps. Rhéa et Chronos s'unirent, l'union d'un frère et d'une sœur
n'ayant rien de choquant à l'époque. Et ils eurent beaucoup
d'enfants. Or, les parents de Chronos/Cronos, Gaia surtout, prédisent
à Cronos : Parmi les enfants qui te naîtront, un te
détrônera. C'est donc par simple prudence que Cronos avale
chacun de ses nouveaux-nés : Rhéa n'était pas
particulièrement heureuse. Elle alla trouver papa et maman, et les
mêmes parents qui avaient prédit le sort de Cronos
inventèrent un subterfuge : cacher la prochaine naissance et donner
au bébé un remplaçant. Rhéa alla faire ses couches
en Crète. Zeus naquit, et à la place de l'enfant, Cronos avala une
pierre. Il fallait que le nouveau-né passât inaperçu. On le
cacha dans une caverne, celle du mont Agaios, dit Hésiode. On retrouve
dans le toponyme le radical aix, aigos, la chèvre, d'où la
légende de la chèvre Amalthée. Il ne fallait pas non plus
que Cronos entendît le petit Zeus. On mit donc autour de lui, pour que ses
cris ne fussent pas entendus, des Courètes, jeunes divinités qui
faisaient du bruit quand Zeus allait crier. De cette façon-là,
Zeus grandissait…
De cette légende, nous retiendrons quelques détails.
Premier détail ( dur à avaler ) : la pierre. C'est
vraisemblablement la survivance ou la transposition de cultes agraires
très primitifs dans lesquels on adorait des pierres brutes (cultes
bétyliques). Primo, cette pierre sauva Zeus, secundo, un jour Cronos la
vomira, et avec elle les enfants qu'il avait avalés auparavant, parmi
lesquels Héra, Poséidon et Hadès.
Deuxième détail : la caverne où Zeus fut caché.
Les cavernes étaient, dans les cultes pré-helléniques, les
sanctuaires de dieux chthoniens. La caverne est significative, puisqu'elle met
en contact le monde terrien et le monde souterrain. De telles cavernes
étaient aussi le siège d'oracles.
Troisième détail : les Courètes. C'étaient des
enthousiastes au sens propre du mot : ils étaient
possédés par une fureur divine, précisément ici une
fureur bacchique. Dans les fêtes, les Courètes épouvantaient
l'assistance par leurs danses en armes. Le mouvement, la transe rythmique et le
bruit exaltent l'esprit des hommes, le détournent des choses de la terre.
Cette musique, ce bruit, cette danse sont l'orgie au sens propre du
terme, qui a pour but de vous faire dépasser votre personnalité
humaine pour arriver à l'extase, c'est-à-dire au contact avec la
divinité. Nous avons bien là un spécimen de rite
orgiastique avec ces Courètes. Il est à peu près certain
que le mythe des Courètes s'est formé petit à petit autour
de Zeus. Les Grecs autochtones ne comprenant pas les orgies, les Grecs
envahisseurs ont ainsi explique le mythe du premier Zeus. Car le Zeus
crétois est le résultat d'une assimilation, puis d'une fusion
entre une divinité chthonienne pourvue d'une suite orgiastique, peut-
être Dionysos, et le Zeus olympien. Le Zeus crétois, qui est
né, qui grandit, va mourir. On montrait en Crète le tombeau de
Zeus. Cette contradiction n'a pas choqué les Grecs parce que les deux
origines ont perdu de leur sens et qu'un Zeus assimilant les deux personnages
originaux s'est constitué. La preuve de cette fusion entre un ouranien et
un chthonien, on les trouve par exemple dans un fragment d'Euripide, dans les
paroles adressées à Minos, roi de Crète, fils de Zeus et
d'Europe :
O fils de la princesse Phénicienne et du grand Zeus, toi qui es
maître de la Crète aux centaines de forteresses, me voici. Je viens
du recueillement des temples couverts du bois de nos forêts natales. Ma
vie a été pure depuis le jour où je suis devenu
l'initié de Zeus l'Idéen et bouvier au service de Zagreus qui erre
la nuit, et ayant pris part au repas de viande crue, et ayant porté haut
sur la montagne les torches des Courètes, je fus élevé
à la dignité sacrée et appelé Bacchos.
Le mot d'initié révèle un culte à mystères,
c'est-à-dire un culte chthonien. La fonction de bouvier renvoie au
taureau qui, dans tous les cultes chthoniens, est l'incarnation de la
divinité masculine. Zeus, à plusieurs reprises, a adopté
cette forme, en particulier pour l'enlèvement d'Europe, mère de
Minos. Le taureau est aussi l'animal des cérémonies
crétoises. Quant à Zagreus, c'est une des manifestations de
Dionysos, divinité chthonienne par excellence. Enfin, Bacchos, le
bruyant, est le nom que l'on donne à l'initié de Dionysos, quand
il est devenu suffisamment élevé spirituellement pour être
reconnu.
- Les unions de Zeus
Les bonnes fortunes de Zeus ne se comptent plus. Cette furie d'aventure galantes
et d'enfants naturels n'a d'ailleurs choqué personne. Il y a dans ces
faits des transpositions d'aventures sociales et religieuses : l'orient est
polygame et Zeus est oriental.
Pour les Grecs de la péninsule, Zeus, au sens strict du terme, est
monogame : sa femme est Héra, son épouse légitime.
Mais pour des Grecs monogames, les unions irrégulières
étaient admises, puisque la femme était considérée
avec un certain mépris et on faisait dans la gent féminine une
classification tripartite.
Les femmes légitimes. Elles sont peu importantes.
Leur rôle se borne à donner des enfants légitimes.
Les concubines : leur rôle est de dorloter le
chef de famille, de lui faire des petits plats...
Les courtisanes : dévolues aux menus
plaisirs.
Les trois vivaient d'ailleurs à la maison.
Les enfants naturels ne sont pas considérés comme des
bâtards, surtout lorsque le père est illustre.
Certaines familles se constituent des généalogies remontant
à Zeus, ce qui est d'autant plus fort que le nom du père est
inconnu dans le régime du matriarcat.
Enfin, il faut voir dans ces aventures, non pas seulement la fantaisie du
poète, ni de gens en mal de généalogie, ni la transcription
d'une organisation sociale ; il faut y voir un sens religieux. Il s'agit
bien d'une hiérogamie. Les partenaires de Zeus sont toutes des
orientales, ressortissant de significations pré-helléniques.
Il y a aussi un sens magique : elles suscitent la fécondité
de la terre et la fertilité des hommes. Nous avons vu le taureau, la
pluie élément de fécondité, voici d'autres formes.
Pour la naissance d'Hélène, c'est un cygne qui s'unit à
Léda. Le cygne est symbole du septentrion, du lieu d'origine des
Indo-Européens.
- Les fonctions de Zeus
Compte tenu de la complexité de notre Zeus, nous imaginons bien que ses
fonctions étaient multiples et son action universelle. Rien
n'échappe à son regard ni à sa voix.
Zeus dieu de la nature
Zeus fait pleuvoir, lance la foudre, fait résonner le tonnerre. Il est
devenu le dieu des cimes et presque tous les hauts sommets du monde grec
lui sont consacrés, notamment le point culminant de chaque île. Il
est devenu le dieu de la nature tout entière, y compris la mer, le sous-
sol, la vigne, ce qui est un abus de compétence.
Zeus dieu de la famille
Il la protège, protège les mariages, conclut les unions heureuses -
il s'y connaît -, il protège le mur de clôture de la maison
familiale. Il est le gardien de la prospérité familiale. Il
distribue les richesses.
Zeus dieu de la cité, de l'état
Il veille sur l'organisation des fratries. On lui fait un sacrifice lorsqu'on
déclare un nouveau-né. Il inspire l'ekklèsia. Il
devient bientôt le dieu de la ligue achéenne, de la
confédération béotienne, et même dieu
panhellénique.
Zeus dieu militaire
On le représente brandissant non plus la foudre, mais le labrus,
la double hache, réminiscence crétoise.
Zeus dieu sauveur et souverain justicier
Dieu de l'homme, il est Zeus meilichios, bienveillant, il recevait des
sacrifices au mois de maimaktèrion, au début de l'hiver.
Dieu vengeur, il n'oublie jamais. Il frappe le coupable jusqu'à la
deuxième ou troisième génération. Il a pour fille
dikè, la justice, à qui rien ne peut échapper.
Dieu du pardon, il est celui qui absout pour le sang versé, qui apaise
les suppliants, le Zeus sôtèr, sauveur.
Dieu de l'amitié, il est aussi le dieu de l'hospitalité.
Zeus est l 'éther, Zeus est la terre, Zeus est le
ciel, Zeus est toute chose et ce qu'il y a au-dessus de toute chose.
Eschyle.
Il semble cependant qu'il soit longtemps lui-même soumis au destin,
moira. Ce n'est que plus tard qu'il deviendra
moiragètès, conducteur de la destinée.
- Le culte
Zeus a de très nombreux sanctuaires et on le célèbre dans
de très nombreuses fêtes. Parmi les lieux de culte, citons l'antre
sacré du mont Dictè, la grotte du mont Ida, de nombreuses autres
grottes et cavernes, le sommet du Cynthe, à Délos, le sanctuaire
de Dodone, avec des prêtres qui mènent une vie ascétique ce
qui est rare dans l 'antiquité grecque. A ce sanctuaire, on
célèbre les Naia, qui devaient compter des combats
gymniques. Il y avait de nombreux autres jeux en Asie Mineure, en Arcadie, en
Messénie (partie ouest du Péloponnèse). Tous ces centres
étaient dominés par Némée et les jeux
néméens, et éclipsés par Olympie et les jeux
olympiques.
En Attique, Zeus était l'objet de plusieurs fêtes importantes. Au
mois d'octobre, on célébrait les apaturia,
dédiés à Zeus protecteur des fratries : banquet,
sacrifices, puis présentation à Zeus des enfants nés dans
l'année.
En novembre-décembre, on célèbre les maimakteria
offrandes de galettes de pains, de fruits, et cérémonies
expiatoires : on met le fidèle en contact avec la peau d'un animal
immolé, dite toison de Zeus.
En mars, les diaisia, fêtes publiques et privées. Les
citoyens d'Athènes offrent un sacrifice au dieu de la famille.
En avril-mai, les olympeia : sacrifices, processions.
En juin-juillet, les scyraphoria, deipollia ou bouphonia,
réjouissances champêtres, avec un sacrifice particulier. Parsemer
l'autel de Zeus de grains d'orge, froment et autres ; puis amener la
victime, un bœuf de labour, un beau. Laisser l'animal manger les grains. Alors,
le bouphonos (tue-bœuf) abat la bête d'un coup de hache, sur quoi
il balance la hache, fonce la ramasser et la porte au tribunal du
Prytanée où elle est jugée, condamnée, puis
jetée à la mer. Ayant écorché le bœuf, remplir sa
dépouille de paille et la mettre sous le joug.
Tuer un bœuf de labour, ça revient cher, c'est un sacrilège, et
même plus, car le bœuf est un compagnon de travail, un ami, un
frère. D'autres malédictions frappaient l'homme coupable d'une
telle action. Si Zeus exige un tel sacrifice, il faut le lui rendre, mais il
faut en être purifié. Il y a là un rite très ancien,
antérieur à l'arrivée des Hellènes.
Les quatre derniers jours de l'année Zeus sôtèr avait
droit à un sacrifice solennel et public.
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