III. L'Acropole
1. Histoire
« S'il y a un lieu où existe la perfection, c'est bien là. »
C'est une citation.
Il y a eu la Grèce dans l'Europe, l'Attique dans la Grèce,
Athènes dans l'Attique, et pour Athènes, le rocher où
s'élève ce qui subsiste de son coeur.
A. Le site
Un très grand nombre de villes de l'antiquité sont
composées de deux éléments : la ville basse,
dernière née, et la ville haute, ou acropole, ville antique.
Pourquoi ce site surélevé ? Il y a une explication
économique : il faut laisser le plus de place possible aux cultures
dans ces pays secs, rocailleux, aux pentes arides, et il ne faut construire les
habitations des hommes que sur les endroits inutilisables. Il y a une
explication militaire : la butte est un site défensif typique. Elle
représente un belvédère d'où l'on voit venir de
loin ; c'est un site de guet. Il y a une explication religieuse : les
lieux de culte ont une prédilection pour les endroits
élevés. Les trois explications confluent pour justifier et pour
comprendre les origines des acropoles.
Mycènes, Tirynthe, Argos, tous ces hauts lieux s'effacent devant le
rocher athénien, berceau de la vieille Athènes, et
piédestal de sa civilisation triomphante.
L'Acropole est un plateau calcaire, grossièrement tabulaire, situé
à cinq kilomètres du fond de la rade de Phalère.
L'Acropole a une altitude de 156 m. L'élévation au-dessus de la
ville est d'environ 80 m. Les versants sont très escarpés, sauf
à l'ouest. Et c'est au pied du versant nord que jaillit la fontaine
Clepsydre. Le plateau est grossièrement un ovale de 300 mètres
dans son axe est-ouest, et de 80 m dans son axe nord-sud. Le tout au
milieu d'un amphithéâtre de collines aux noms prestigieux.
B. Evolution
L'Acropole fut vraisemblablement habitée dès le XVIe siècle
avant Jésus-Christ. On attribuait à Cécrops le premier
établissement qui fût installé, Cécropia ou Kranaa.
Cécrops avait trouvé là une population autochtone :
les Pélages, rameau d'une race préhellénique.
Plus tard, Thésée réunit toutes les bourgades
groupées autour de Cécropia et la nouvelle cité née
de ce synoecisme prit alors le nom d'Athenaï, pluriel issu du locatif
d'Athènes. Athéna, déesse mère, déesse du
rocher et du palais mycénien, dont l'attribut était la chouette,
oiseau des cavernes et des crevasses.
L'Acropole était alors une véritable ville forte. Les fouilles ont
révélé les mêmes maisons, les mêmes
conceptions. L'Acropole fut enfermée dans des murs cyclopéens.
Le côté occidental, seul accessible, était défendu
par une série de murailles percées de neuf portes
successives : Pelasgicon ou Enneapylon.
A partir du VIIe siècle, l'Acropole tend à n'être plus qu'un
sanctuaire. Les organes du gouvernement descendirent de la hauteur vers la
plaine jusqu'à ce que Pisistrate remonte vers la Citadelle avec une rampe
carrossable et des Propylées.
C'est la première ébauche de l'acropole classique. Elle compte
alors un sanctuaire très vénéré, l'ancien
Erechteion, un sanctuaire à Artémis Brauronia, et surtout, oeuvre
de Pisistrate, organisateur du culte officiel de l'Athéna Polias,
l'Hécatompédon, temple long de cent pieds, construit en
calcaire et que les fils de Pisistrate agrandirent en marbre.
Aristide commença le premier Parthénon.
Mais en 480, Xerxès s'emparait de l'Acropole et détruisait tout
dans un gigantesque incendie. Après Salamine, on s'efforça d'abord
de parer au plus pressé. On déblaya les décombres des
sanctuaires, les débris des kouroi, des korai, furent
enfouis dans une favessa, une fosse à l'intérieur de
laquelle on mettait tous les objets sacrés devenus inutilisables.
En même temps que l'on faisait ce sacrifice, Thémistocle
reconstruisait le mur nord de l'Acropole, en utilisant les colonnes du
Parthénon d'Aristide qui, exposées à tous les Grecs, devait
raviver la haine des Athéniens contre tous les barbares. Simon acheva les
murs du sud et de l'est. C'est lui qui réalisa le bastion carré
qui fortifie au sud-ouest la muraille de l'Acropole, le pyrgos, la tour.
C'est là qu'allait s'élever plus tard le temple d'Athéna
Nikê. Mais c'est Périclès, véritable ministre des
Beaux-Arts, qui va donner à la butte son aspect définitif.
C. Périclès et ses desseins
Périclès était aidé par un état-major
prestigieux : Callicratès, Mnésiclès et Phidias.
L'Acropole est dépouillée définitivement de son
caractère de citadelle pour devenir un ensemble décoratif
consacré aux dieux, et particulièrement à Athéna.
Pourquoi cette entreprise fabuleuse ? Pourquoi cette débauche de
marbre ?
Il s'agit d'abord, certainement, de parer Athènes, de rendre la ville
digne de sa grandeur. Ensuite, Périclès voit dans l'art un moyen
de représenter le divin et un moyen d'assurer la domination
d'Athènes sur le monde grec.
Les travaux entrepris permettent à tous les Athéniens d'avoir du
travail. C'est certainement une expérience de ce qu'on pourrait appeler
le socialisme d'état. Une théorie à ce sujet a
été exposée récemment par les Anglo-Saxons.
Périclès, en couvrant l'Acropole de marbre, eût songé
à rivaliser avec les constructions de Persépolis, où Darius
et Xerxès avaient élevé un incomparable palais :
l'apadana.
Il est certain que le parallèle des deux acropoles s'impose à
l'esprit : même entrée d'apparat, même usage de la
dissymétrie, si rare dans l'art grec, même concentration des effets
sur un édifice primordial. L'étude des sculptures amène
à la même conclusion, ainsi la frise du parapet d'Athéna
Nikê et les défilés de guerriers barbus, les uns à la
queue des autres, la frise intérieure du Parthénon, la procession
des Panathénées : scène humaine.
Y a-t-il dans ces rencontres plus que du hasard ? Périclès et
Phidias connaissaient -ils assez bien les palais des grands rois ? Le
problème reste posé.
Ce parallèle, soulevé par les Américains, n'est pas
inutile : il nous permet de comprendre les différences
irréductibles entre les deux civilisations.
A Persépolis, il y a un bâtiment primordial, sur lequel sont
concentrés tous les effets, mais ce bâtiment, c'est la demeure d'un
homme, maître absolu de millions de sujets sur lesquels pèse un
joug pénible. Sur l'Acropole, règne la divinité. Sur
l'Acropole, règne en fait l'image que les Grecs se faisaient de
l'univers. Les processions de Persépolis nous montrent des vaincus qui,
les mains chargées de présents imposés, montent vers le
Grand Roi. La procession des Panathénées montre des habitants
libres, qui dans la joie, portent des offrandes volontaires aux dieux.
Voulue ou non, l'opposition entre le monde perse et la démocratie
grecque, entre la barbarie et l'hellénisme s'accuse avec une
netteté particulière sur les hauts lieux de Persépolis et
d'Athènes, où les deux civilisations ont donné l'expression
la plus parfaite de leur génie artistique.
Au Ve siècle, à l'heure où vient mourir la marée
lassée de la partie orientale de l'histoire, s'ouvre à
Athènes un régime qui a engagé l'univers dans une
métamorphose décisive. Nous sommes à la naissance de la
civilisation de l'homme de l'occident.