II. Les principaux sanctuaires panhelléniques
1. Delphes
Le sanctuaire de Delphes a été créé par une
confédération de douze peuples grecs, en majorité
doriens. Le sanctuaire, qui fut d'abord celui d'une
confédération, est devenu petit à petit un
sanctuaire fréquenté par tous les hellènes.
A. Le site de Delphes
"Le site de Delphes est un des plus beaux de la Grèce. Il a
le mystère, la grandeur et l'effroi du divin" disait un
archéologue. C'est bien l'avis de Flaubert : "C'est un
paysage à terreur religieuse : vallée étroite
entre deux montagnes presque à pic, le fond plein d'oliviers
noirs, les montagnes rouges et vertes, le tout garni de
précipices, avec la mer au fond et un horizon de montagnes
couvertes de neige. Kranaki : tant de hauteurs où grondent
les eaux souterraines, tant d'aigles et de présages, tant de
précipices, non, ce lieu ne saurait être une simple demeure
de l'homme."
La ville est située au nord du golfe de Corinthe, au pied du
Parnasse, et elle domine la vallée du Pleistos. On peut
accéder à Delphes par la terre, mais l'accès par la
mer et plus extraordinaire. On aborde au petit port d'Itéa,
ancien port lochnéen de Chaleion, non loin de l'ancien port
sacré de Kirra. A partir d'Itéa, la pente est
extrêmement rapide. Le sanctuaire aussi est en pente, en pente
brutale, limitée à l'horizon nord par des roches rouges
qui le soir deviennent violettes, les Phédriades (les
replendissantes). Dans une anfractuosité de ces Phédriades
jaillit la fontaine Castalie, du nom de la jeune fille qui s'y jeta pour
fuir un Apollon par trop entreprenant. Au sud, profondément
encaissé, le Pleistos serpente dans une mer d'oliviers noirs. Non
loin de là, se trouve le sanctuaire d'Athéna Pronaia.
B. L'oracle de Delphes
C'est le plus important de tous les oracles grecs. Apollon arrive au
pied du Parnasse, résout d'y bâtir un temple :
« Voici où je pense bâtir un temple superbe qui sera
pour les hommes un oracle, et eux m'amèneront toujours ici de
complètes hécatombes, aussi bien ceux qui habitent le
Péloponnèse que ceux qui habitent l'Europe et les
îles entourées par les eaux. Et moi, je leur
réserverai toujours un conseil sûr, le dictant dans mon
temple opulent. » (Hymne homérique).
En fait, le sanctuaire symbolise l'antagonisme de la religion chtonienne
préhellénique et la religion ouranienne des
Achéens.
Les divinités chtoniennes ont d'abord été Gaia,
terre mère qui possédait déjà des
propriétés divinatoires, avec le serpent Python.
Euripide : "La Terre suscitait des visions nocturnes, des
songes qui disaient le passé, le présent et l'avenir
à de nombreux mortels dans leur sommeil obscur".
Apollon, dieu des Achéens vainqueurs, recueille, après sa victoire
sur le python, la succession de Gaia, et prophétise d'une autre
façon : « La divination apollinienne affranchit les
hommes de la mantique ténébreuse. » (Euripide).
Apollon dévoile l'avenir par l'intermédiaire de la Pythie,
choisie parmi les jeunes filles de Delphes belles et pures.
Belles ! Si bien qu'une des pythies fut enlevée. On choisit
désormais les prêtresses parmi les femmes ayant
dépassé la cinquantaine, précaution sage.
La place de Pythie n'était pas de tout repos : le
métier était épuisant. Avec la tension nerveuse, la
Pythie s'usait vite. On les fit se relayer : deux en service et une
en réserve.
La Pythie était assise dans l'adyton du temple, salle
souterraine chtonienne, sur le trépied sacré. La Pythie
était placée au-dessus d'une crevasse d'où se
dégageaient des vapeurs sous l'influence desquelles elle tombait
en extase et proférait des paroles plus ou moins
incohérentes. Ces vapeurs ont-elles existé ? Quelles
étaient-elles ? Point d'interrogation. Certains auteurs ne
parlent ni de vapeurs ni de crevasses.
C. Le rôle politique de l'oracle
Un rôle indiscutablement très important. Il ne s'est jamais
exercé dans un sens totalement hellénique. Il a surtout
été un facteur de division. L'influence politique de
l'oracle de Delphes commence vraiment avec l'invasion dorienne. Les
Doriens ont eu des liens étroits avec Delphes. Ils ont
assuré à cet oracle un revenu temporel important en
déclarant serfs d'Apollon les anciens habitants du pays. L'oracle
lança alors les Doriens à la conquête du
Péloponnèse. Lycurgue a rapporté de Delphes les
prémices de sa mission, la constitution spartiate et est
retourné y mourir. Delphes intervient alors en faveur de Sparte
pendant les guerres de Messénie, dans la rivalité avec
Athènes. Il y a un certain refroidissement dans l'idylle au
moment où les Spartiates se font admettre dans la
confédération olympique. L'oracle cherche d'autres appuis.
Il va les chercher notamment à Athènes. Delphes
représente en Grèce l'esprit aristocratique et
conservateur opposé aussi bien aux tyrans qu'aux
démocrates. L'oracle est donc hostile à Pisistrate,
d'autant plus que les Alcméroïdes, famille de
Périclès, opposés aux Pisistratides, essaient
d'obtenir la faveur de Delphes. L'oracle répète qu'il faut
chasser les Pisistratides. Pendant les guerres médiques, l'oracle
n'intervient guère : la cause grecque est perdue...
bôf ! et le bruit se répandit que Delphes
"mèdisait", c'est-à-dire soutenait les
Mèdes. "Abritez-vous derrière un rempart de
bois". Thémistocle construit une flotte qui vaincra à
Salamine. La paix revenue, Athènes se détourne de Delphes
et c'est Délos qui reçoit le culte des Athéniens.
Dans le conflit entre Sparte et Athènes, entre Delphes et
Délos, c'est Delphes qui l'emporte.
Au IVe siècle, Delphes se range à Thèbes dans la
lutte pour l'hégémonie, et plus tard, la Pythie
philippise : "La Grèce, dit-elle, ne saura pas
résister". Elle jette la zizanie dans le camp grec. C'est
grâce à l'ombre qui est à Delphes que Philippe
impose à la Grèce son autorité, grâce aux
deux dernières guerres sacrées.
Delphes intervient pour l'oligarchie contre la démocratie, pour
les Doriens contre les autres cités, pour les plus forts dans les
querelles internationales.
D. Description du sanctuaire
Croquis :
... et une pente comme ça !
Ce sont les fouilles de l'Ecole française d'Athènes, et
une description de Pausanias (l'inévitable !) qui ont permis
de reconstituer le physionomie du sanctuaire.
Un quadrilatère de 200 m sur 130 entouré d'un
mur d'enceinte, tantôt polygonal tantôt irrégulier
(cyclopéen).
On entre dans le sanctuaire par des propylées à l'angle
sud-est, d'où part la voie sacrée, dallée, à
très forte pente, d'où son allure sinueuse, coupée
de paliers. Des deux côtés, des édifices :
chapelles, trésors, monuments votifs où s'affrontent les
constructions de deux états rivaux. Il n'en reste bien souvent
que les emplacements ou au mieux les substructions.
Dans la partie SE-NO :
34 à droite, en entrant, le taureau de Corcyre,
dédié à Apollon pour le remercier d'une pêche
au thon miraculeuse.
35 sur la gauche, l'ex-voto des Athéniens, offert aux dieux
après Marathon, avec des statues sculptées par Phidias.
36 un peu plus loin, à droite, l'ex-voto des
Lacédémoniens ou monument de Lysandre, en souvenir de la
bataille d'Aigos Potamos.
Entre (3) et (4), on ne sait pas : d'autres ex-voto. Puis, les
trésors :
37 trésor de Sicyone, à main gauche, petit édicule
dorique à antes, consacré aux présents à la
divinité.
38 trésor de Syphnos
39 trésor de Cnide
40 trésor des Thébains
Coude et deuxième portion, orientée SO-NE :
41 Trésor des Athéniens, le seul qui tienne encore debout,
relevé peu à peu de 1904 à 1906. Petit
édicule dorique à antes, de dix mètres sur six,
décoré d'une frise à triglyphes et métopes
racontant les exploits d'Héraklès et de
Thésée. Sur les murs, plusieurs inscriptions relatives
à la fameuse théorie que les Athéniens envoyaient
chaque année à Delphes, et deux hymnes à Apollon.
42 Le Bouleutérion (sénat de Delphes).
L'aire sacrée : un palier circulaire dallé, de 16
mètres de diamètre, où devait être
représenté le fameux drame sacré.
43-(11) : monuments : (10) sphinx de Naxos sur sa colonne.
(11) trésor de Corinthe.
Tout ceci est dominé par la terrasse du temple d'Apollon,
soutenue par un mur polygonal très long. Ce qui reste de ce mur
est gravé de 700 inscriptions qui constituent le recueil des
archives. Au pied du mur se détache (12) le portique des
Athéniens.
N-S : ça monte, c'est rude !
Il y avait un ex-voto des Phocidiens, le trépied de
Platées (479), une colonne de bronze doré, terminée
par trois serpents pythons entrelacés dont la tête
supportait une cuve métallique.
Carrefour des trépieds.
Le temple d'Apollon.
Reconstruit pour la dernière fois en 369, il n'en reste plus
guère que le plan et les colonnes.
On y retrouve les trois divisions traditionnelles, le naos, la
cella contenant l'omphalos, le nombril du monde, et
l'opisthodome, avec en plus l'adyton et la salle des consultants.
C'était un temple aux frontons sculptés. A l'est, Apollon,
Latone et Artémis, le coucher d'Apollon.
44 temple de Néoptolème, le quadrige de Gélon, l'aurige.
45 le théâtre, du IVe siècle
46 Le trésor de Cnide, un club.
A proximité du sanctuaire d'Apollon, il y avait un stade, fort
long (199 m) et très étroit. Ce stade pouvait recevoir
7000 spectateurs, et c'est là que se déroulaient les jeux
pythiques.
E. Le sanctuaire d'Athéna Pronaia
Il est situé à un petit kilomètre du sanctuaire
d'Apollon, un petit sanctuaire assez pénible. Des restes
d'offrandes ont été mises à jour récemment
et révèlent la présence d'un très ancien
sanctuaire, vraisemblablement mycénien : Athéna fut
une déesse mycénienne. A la fin du Ve siècle, ce
vieux sanctuaire fut rénové et l'on y construisit, en
particulier deux monuments.
D'abord une des merveilles de Delphes, la tholos, petit
édifice circulaire monté sur des marches, et qui
était entouré de colonnes, vingt colonnes de marbre. Il ne
reste plus aujourd'hui que la plate-forme circulaire et des troncs de
colonnes. Ces colonnes supportaient une frise dont les principaux
éléments sont au musée de Delphes. Les
métopes représentaient des combats d'amazones et de
centaures.
Le deuxième édifice était un temple d'Athéna
dont il ne reste plus rien, un petit édifice dorique.