L'HELLÉNISME SOUS LA DOMINATION OTTOMANE
C. Société et idéologie. Les orientations de la bourgeoisie grecque
4. Conscience nationale et réveil national
C'est à travers la renaissance intellectuelle du XIXe s. et du
début du XIXe qu'a commencé l'éveil national. Les oeuvres
des penseurs grecs, les écrivains des Lumières, ont
participé à la prise de conscience des problèmes nationaux
et sociaux qu'affrontait le monde grec à cette époque, qui, comme
on l'a vu, à cause des nouvelles conditions économiques et
sociales, traversait une situation différente de la
précédente. De plus, dans la région de la renaissance
intellectuelle, commençait aussi à prendre forme la lutte
idéologique qui, à mesure que les années passaient,
devanait plus vive. Le pôle des affrontements intellectuels et de la lutte
idéologique était la question de la libération du joug
turc : quand le monde grec serait-il mûr pour cette
libération, comment se libèrerait-il et quelle serait la forme
politique du nouveau gouvernement ?
Comme il était naturel, dans cette lutte idéologique, qui de
toute manière était un élément significatif de
l'éveil national, s'opposaient le point de vue progressiste, qui
exprimait les désirs de la bourgeoisie, et le point de vue conservateur,
qu'approuvaient une grane partie des Phanariotes et des notables. La bourgeoisie
posait la question de la libération nationale pour les
conservateurs, le pouvoir turc était imposé par Dieu et nul
n'avait le droit de combattre la volonté divine.
Parallèlement à l'éveil intellectuel et aux
affrontements intellectuels, divers autres événements,
intérieurs - comme les soulèvements populaires devenus plus
fréquents - et extérieurs - comme les guerres russo-turques, et
plus encore, la Révolution française, participaient à la
formation de la conscience nationale, c'est-à-dire la certitude que les
Grecs constituent une unité différente des Turcs du point de vue
ethnique et non pas du point de vue religieux, comme on le pensait dans les
siècles précédents, et que pour cette raison, ils devaient
avoir un gouvernement national différent.
A ce propos, il faut menionner ici l'oeuvre littéraire et le mouvement
révolutionnaire de Rigas. Rigas Velestinlis (1757?-1798) croyait
que l'éveil intellectiel du peuple grec avait la priorité sur la
lecture des romans européens qu'il traduisait lui-même, c'est
pourquoi il abandonna son oeuvre de traducteur pour se consacrer à la
rédaction de textes politiques. Ce furent la Constitution de la
Confédération Balkanique, inspirée par la première
constitution de la Révolution Française (1793), la Charte,
Thourios, un chant révolutionnaire, et diverses proclamations
révolutionnaires. Ces oeuvres, qui adoptent les thèses
progressistes de l'esprit français des Lumières et de la
Révolution Française, et qui inspirèrent les milieux les
plus révolutionnaires de la bourgeoisie grecque, montrent que Rigas
envisageait une révolution générale de tous les
chrétiens des Balkans asservis par les Turcs, et la création,
après leur libération, d'un état qui serait la
Confédération Balkanique, mais où un pouvoir politique
prépondérant serait donné aux Grecs. Rigas ne s'est pas
limités à ces proclamations, mais a pris la tête d'une
conjuration qui fut cependant découverte par la police autrichienne, et
les conjurés furent exécutés, à commencer par
Rigas.
Témoignage |
La "Charte" de Rigas. |
Article 2. - Ces droits naturels sont : premièrement que nous
soyons tous égaux et non l'un inférieur à l'autre ;
deuxièmement que nous soyons libres et non l'un esclave de l'autre ;
troisièmement, que nous ayons pleine sûreté pour notre vie
et que nul ne puisse nous la prendre injustement et selon sa fantaisie ; et
quatrièmement, les biens que nous avons, que nul ne puisse les toucher,
mais qu'ils nous appartiennent en propre, à nous et à nos
héritiers.
Article 18. - Chaque homme peut en servir un autre comme employé,
mettant son temps à la disposition de l'autre ; mais nul ne peut se
vendre, ni vendre un autre parce que son sujet n'est pas en son seul pouvoir
mais aussi au pouvoir de la Patrie. La loi ne reconnaît aucun
asservissement ni esclavage...
Article 22. - Tous, sans exception, ont le devoir d'apprendre à lire
et à écrire. La Patrie doit installer des écoles dans tous
les villages pour l'instruction des enfants garçons et filles. De
l'instruction naît le progrès, dont brillent les nations libres.
Que soient expliqués les historiens de l'antiquité ; dans les
grandes villes, que soient enseignées les langues française et
italienne ; que la grecque soit obligatoire.
Article 25. - [...] c'est à savoir que le peuple seul peut commander
et non une partie des hommes ni une ville ; et il peut commander de tout
sans aucun empêchement.
Article 33. - Que chaque citoyen puisse résister, lorsqu'il est
l'objet d'une oppression ou d'une injustice, est le résultat des susdits
Droits.
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Dans ces extraits de la
Constitution de Rigas, on constate la pleine adhésion à
certains des principes de l'esprit français des Lumières et de la
révolution française. |
Au début du XIXe s., l'économie florissante, la
différenciation sociale, l'essor intellectuel et la lutte
idéologique, les insurrections populaires et les organisations de
conjurés, issus des consciences adverses des peuples européens,
tout montrait que le monde grec était en marche vers sa révolution
nationale. Naturellement, au niveau du commandement, il n'y avait pas d'accord
total, non seulement sur la manière de l'organiser, mais aussi sur la
question de savoir si c'était le moment favorable pour une telle
entreprise. Certains surtout, les représentants de l'aristocratie
administrative, étaient partisans de la continuation du pouvoir turc, ou,
souvent, d'une libération qui ne viendrait pas d'une révolution,
mais de l'intervention de la Russie orthodoxe.
Témoignage
Peut-être après tous, attendez-vous que la liberté nous
soit donnée par un des souverains étrangers ? Mon Dieu !
Jusques à quand, ô Grecs, resterons-nous dans une erreur aussi
inconsidérée ? Pourquoi ne tournons-nous pas une fois les
yeux vers le passé, afin de comprendre plus facilement le futur ?
Qui ignore que le principal dessein des souverains étrangers est
d'essayer de servir leurs intérêts propres aux dépens des
autres ?
Et quel homme sensé peut croire que l'un quelconque des souverains
étrangers veut défaire l'empire ottoman, vaut nous laisser
libres ? ô erreur fatale ! Ne soyez pas, mes frères,
d'une telle naïveté [...].
Pourquoi, mes frères, vouloir changer de souverain, alors qu'à
noua seuls nopus pouvons nous libérer ? Pensez-vous que serait plus
léger le joug d'une puissance étrangère ? Ne pensez-
vous pas que c'est encore un joug ? [...]
Alors vous, mes amis, les jeunes d'aujourd'hui, mes chers Grecs, [...]
acceptez de préparer le redressement de nos compatriotes. La gloire vous
attend, tenant en ses mains les lauriers de la victoire, et les bras
ouverts.
Extrait d'un livre grec du début du
XIXe s. : la conscience nationale vient de s'éveiller et refuse
la libération par une aide étrangère. |
Fin du chapitre L'HELLÉNISME SOUS LA DOMINATION OTTOMANE
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