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L'HELLÉNISME SOUS LA DOMINATION OTTOMANE

C. Société et idéologie. Les orientations de la bourgeoisie grecque

3. Les termes des Lumières Néo-grecques

Ce que l'on appelle l'esprit des Lumières est parti de la France du XVIIIe s. et, avec les changements de la société, se créa aussi sur les terres de l'hellénisme un nouvel épanouissement intellectuel appelé l'esprit des Lumières néo-grec. La richesse générée par le développement du commerce et des autres secteurs économiques a permis à un nombre croissant de jeunes issus de familles aisées de faire leurs études en Europe et de se trouver au contact immédiat du nouvel esprit européen, en particulier de l'esprit français des Lumières. Ce nouveau mouvement intellectuel prit racine principalement dans les milieux phanariotes, qui, afin de briguer des fonctions plus élevées auprès du Patriarcat de Constantinople et du pouvoir ottoman, sentaient qu'il fallait acquérir de nouvelles connaissances scientifiques et techniques en faisant des études dans les universités européennes. C'est une tendance qui s'est étendue aux autres couches de la société grecque, surtout dans les villes. Tous ces jeunes venaient en contact immédiat avec une pensée presque exclusivement française et avec les idées de l'esprit français des Lumières, qui d'ailleurs prévalait alors sur l'Europe tout entière.

 

Adamantios Korais (Cliquer pour agrandir) Adamantios Koraïs, médecin et fin lettré, installé à Paris, fut l'un des Grecs les plus actifs à soutenir avec passion l'organisation du mouvement de libération de l'état grec.

 

Ce contact avec la pensée française ne signifie pas cependant nécessairement qu'elle fût adoptée dans sa totalité dans la totalité du monde intellectuel grec. Dans ce monde de la pensée grecque, trois tendances se firent jour :

  • l'une, progressiste, était ouverte à toutes les idées nouvelles, y compris les plus avancées, de l'esprit français des Lumières. Elle proposait l'étude des mathématiques, de la physique et de la chimie, et considérait l'expérience comme la meilleure méthode en matière de sciences. Enfin, elle considérait que l'accroissement du niveau intellectuel du peuple, la propagation de l'instruction et l'enracinement des idées des Lumières ne pouvait réussir que par le moyen de la langue populaire, le démotique.

  • la seconde, conservatrice considérait l'esprit des Lumières comme destructeur, immoral et athée, et la langue démotique comme vulgaire. Elle était favorable à la propagation de l'instruction et à l'éveil intellectuel du peuple grec, mais seulement par l'église, les traditions sacrées du peuple grec asservi, et de la langue littéraire (katharevoussa).

  • enfin, la troisième tendance, consensuelle, comprenait les intellectuels qui proposaient d'éviter les positions extrêmes, aussi bien les progressistes que les conservatrices ; elle penchait plutôt vers le progressisme, mais considérait que beaucoup d'idées de l'esprit français des Lumières étaient dangereuses pour le peuple et que la langue vulgaire ne pouvait pas aider à la promotion des lettres.

 

Côme l'Etolien était un moine qui, avec passion, a poursuivi la propagation de l'instruction et de l'orthodoxie à travers un esprit nouveau. Il appartient aux nouveaux martyrs de l'Eglise et il est l'un des premiers à avoir proclamé à la fois la valeur de l'orthodoxie et l'opposition aux institutions. Come l'Etolien (Cliquer pour agrandir)

 

Il est certain que les tendances progressiste et consensuelle exprimaient les désirs des diverses composantes de la bourgeoisie, et étaient soutenues par elles, alors que la tendance conservatrice avait le faveur du Patriarcat. Il faut souligner ici que devant l'immense retentissement des idées des Lumières dans le monde grec, le Patriarcat s'est rangé aux côtés de la fraction intellectuelle conservatrice et prononça des interdits et des excommunications contre les intellectuels progressistes, adoptant ainsi une attitude hostile à l'égard d'un mouvement qui en fait menait à l'éveil intellectuel et national du peuple grec asservi.

Les tensions intellectuelles et idéologiques entre les fractions progressiste et conservatrice se focalisèrent surtout sur la question de la langue, qui depuis lors commença à tourmenter le monde grec. A travers ces tensions sur la langue s'exprimaient des oppositions intellectuelles et idéologiques plus vastes. Il reste que, mis à part la question de la langue, les principales manifestations de l'esprit grec des Lumières furent la multiplication des écoles et des élèves, un accroissement sensible du nombre des étudiants grecs dans les universités étrangères, ainsi qu'une augmentation très importante de l'édition des livres grecs, la création de nouvelles imprimeries, et l'introduction des sciences "positives" (mathématiques, physique, chimie) dans les programmes scolaires. Le mot d'ordre général exprimé par une conception profonde de l'esprit des Lumières était que l'instruction mène à la liberté.

 

Evgenios Voulgaris (Cliquer pour agrandir) Evgenios Voulgaris est historiquement l'un des premiers représentants de l'esprit des Lumières en Grèce. Progressiste au début, il finit conservateur. C'est ainsi qu'il exprima les recherches et les doutes des premiers défenseurs des Lumières en Grèce, ceux qui, pour distinguer entre les tendances, montraient une sorte d'esprit de conciliation, un "juste milieu". Ils appelaient de leurs voeux un réveil du peuple grec, mais en même temps avaient peur de l'esprit des Lumières Français.

Parmi les grands centres intellectuels du monde grec se sont signalés, à la fin du XVIIIe s. et au début du XIXe, Ioannina, Missolonghi, Chio, Smyrne et certaines colonies grecques, alors que parmi les premiers artisans de la renaissance intellectuelle du monde grec, on peut citer Katartzis, Moisiodakas et Evgenios Voulgaris, jusque vers la fin du XVIIIe s. Après les débuts de la révolution française, qui idéologiquement s'appuyait sur l'esprit français des Lumières et ébranla le monde entier, on remarque encore d'autres lettrés grecs, plus ou moins influencés par elle : le plus important d'entre eux fut Adamantos Koraïs (1748-1833) qui embrassa la pensée de l'esprit de liberté français, était opposé au gouvernement autocratique des peuples et croyait fermement que les Grecs, pour acquérir leur liberté nationale et politique, devaient d'abord être instruits. Toutes ces conceptions exceptionnellement progressistes de Koraïs étaient en désaccord avec sa position sur la question de la langue : pour l'écrit, il proposait l'institution d'une forme mixte de la langue, délivrée à la fois des archaïsmes et des mots et expressions populaires "vulgaires".

Etaient également influencés par la pensée française, négativement ou positivement, Néophytos Doukas, Athanasios Parios, Panagiotis Kodrikas, Constantinos Koumas, Athanasios Psallidas. Avec quelques autres, grâce à leurs oeuvres littéraires, ils contribuèrent à l'éveil intellectuel du peuple et jouèrent un rôle de premier plan, les uns comme progressistes, les autres comme conservateurs, dans tensions intellectuelles et idéologiques du début du XIXe s. Il faut enfin se rappeler qu'une des plus fortes figures intellectuelles du monde grec fut Rigas Feraios, dont il sera question plus loin.

 

Témoignage
  • « La langue est un des biens les plus inaliénables de la nation. Tous les membres de la nation y participent avec une égalité pour ainsi dire démocratique... Ni tyrans des vulgaires, ni esclaves de leur vulgarité... »

  • « Le petit nombre des livres, l'ignorance de la presse, le manque de communication empêchèrent autrefois les peuples de s'éclairer... Aujourd'hui, il est également facile de transporter d'un pays à l'autre les lumières et les produits. Et de fait, depuis quelques années, les Grecs, à leur commerce ordinaire, ont ajouté celui des sciences. »

  • « Les nouvelles conditions du commerce, la richesse nouvelle qui s'est concentrée sur la nation et, évidemment, le relâchement du pouvoir gouvernemental ont inspiré à certains îliens l'idée de construire des navires de commerce à l'imitation et avec la méthode des Européens...
    Favorisant d'une part le commerce des Grecs et multipliant les moyens financiers, cette marine marchande a beaucoup aidé à la multiplication des moyens de s'instruire... D'autre part..., ces insulaires ont acquis et transmis à toute la nation un élan de l'âme inconnu du temps de la soumission. »

  • Quelques pensées d'Adamantios Koraïs sur la langue, sur l'instruction et sur le commerce.

     

    4. Conscience nationale et réveil national