Nessuno accecò il gigante

 

 La porte du théâtre est fermée. Les spectateurs attendent dans le hall. Ils y sont accueillis par un homme.
  
 Prologue, à l'extérieur
  
L'homme.

Attention, attention !
Polyphème, le géant Polyphème est arrivé !
Attention, attention ! (en de nombreuses langues)

Mesdames, Messieurs et vous mes petits amis...
Garçonnets et fillettes, bambins et bambinettes, poulets et poulettes, poussins et poussinettes...
Vous avez vos piécettes ?
Vous avez acheté vos billets ?
Parfait !
Alors vous pourrez voir le Géant, le Colosse, la Merveille ! Il est venu de la lointaine Sicile, pour vous, sur un navire spécialement construit avec le bois d'une forêt de sapins tout entière, tellement grand, tellement large qu'il tenait à peine sur les flots.
Mais c'est de bon gré que j'ai risqué ma vie, pour que vos cœlig;urs puissent battre de joie et de peur, de frayeur et de tendresse à la vue du Dernier des Cyclopes, du Géant, du Colosse (en plusieurs langues).

Suivez-moi à présent dans l'antre du géant, n'ayez pas peur ou alors ayez très peur, mais en silence, ne tremblez pas, suivez- moi tout doucement. Mes amis, suivez-moi ! courage compagnons ne tremblez point...

 

(Ils entrent)

La scène est dissimulée par une immense toile peinte de montreur d'images sicilien représentant le cyclope, avec des flèches et des légendes, comme dans un livre d'école. Derrière la toile, on entend des ronflements, qui seront de plus en plus forts.

 

Et maintenant, assoyez-vous et soyez sages, faites doucement, doucement car le géant dort, doucement...
Vous savez, cela fait dix mille ans qu'il parcourt le monde, d'abord avec le grand-père de mon grand-père, puis avec le père de mon père, et maintenant avec moi...

  
 

Le Dernier des Cyclopes

  
 

(Il décrit la toile qui cache le géant)

 

Les géants étaient bergers, hauts comme des montagnes. Sur leur tête poussaient des forêts à la place des cheveux et les aigles venaient y faire leur nid. D'une main, ils soulevaient un bœuf et de l'autre, ils le reposaient au sol.
Au milieu du front, ils avaient un œil... tout seul... tout rond !
Et c'est cet œil que Personne lui a crevé.
Le Géant dort à présent, vous entendez comme il dort ? Vous entendez son ventre qui se gonfle, puis se dégonfle ? Son souffle est un ouragan... Il se repose le colosse, le dernier des cyclopes !

A présent, mais autrefois Polyphème vivait en Sicile (Il se dirige vers la marmite), qui est une île isolée au milieu de la mer, où il habitait avec d'autres géants, forts comme lui.

Le jour, ils emmenaient paître leurs troupeaux et la nuit, ils retournaient dans leurs cavernes où se trouvaient les géantes et les petits géants, les chèvres, les agneaux, les brebis, les moutons, le lait et les fromages ; tous ensemble contents de faire leur vie de cyclopes.

Et Polyphème était le plus grand, le plus fort de tous les cyclopes, il vivait seul et n'avait peur de rien, même pas des Dieux.

Jusqu'à ce jour où est arrivé un maigrelet (Il se présente), un marin grec qui l'a rendu aveugle... il lui a crevé l'œil par ruse...
Personne disait-il s'appeler, et encore aujourd'hui, alors que tant d'années sont passées, Polyphème rêve de lui la nuit. Personne !

Le géant aveuglé par Personne!

 

(Il goûte le lait)

C'est prêt!

Instant magique, the magic moment, le réveil du géant Polyphème !

 

(Il le découvre)

Polyphème apparaît. C'est un gigantesque mannequin animé. Tout à l'heure, quand il se lèvera, sa hauteur sera de cinq mètres. Pour l'instant, il est assis dans un immense fauteuil vert fin de siècle.

 

Wunderbar!
Ne soyez pas effrayés, don't be afraid, Mesdames et Messieurs. Le géant est complètement aveugle, aveugle, mes petits amis, et il est totalement inoffensif. Il dort, jusqu'à ce que je le réveille.

  
L'homme.

Polyphème, Polyphème, réveille-toi !
Polyphème... réveille-toi !
Réveille-toi, Polyphème !

Polyphème.

Au secours ! Mes frères Cyclopes, ils m'ont aveuglé !

L'homme.

Qui t'a aveuglé, Polyphème ?

Polyphème.

Personne... C'est Personne qui m'a aveuglé... Personne !

L'homme.

Bravo ! Réveille-toi Polyphème !

Polyphème.

Qui est là ? Il y a quelqu'un ? Il y a Personne ?

L'homme.

C'est moi, Polyphème.
C'est moi, réveille-toi grosse bête !

Polyphème.

Ah, c'est toi. (Il baille)

L'homme.

Bonjour Polyphème, tu es mon trésor à moi.

Polyphème.

'Jour !
Je sens cette odeur qui me plaît tellement...
Cette odeur de... de...

L'homme.

Lait !

Polyphème.

Lait ?

L'homme.

Ton lait chaud, Polyphème...
Je vais tout de suite immédiatement... ne bouge pas.
Voilà, j'y suis... retiens-toi Polyphème... j'arrive... doucement... hop (Il grimpe) hop... prêts... la menotte ! (Il lui met le seau dans les mains)
Bravo... Ouvre la boubouche !
Aaaaaaammmm... tout en bas !...

Polyphème.

Mais moi je sens cette odeur...

L'homme.

Oui, oui, qu'est-ce que tu sens Polyphème ?

Polyphème.

...je sens, je sens cette odeur de chair tendre...

L'homme.

Ce seront des p'tits cochons ?

Polyphème.

Non !

L'homme.

Ce seront des saucissons ?

Polyphème.

Non !

L'homme.

Ce seront...

Polyphème.

... des hommes...

L'homme.

Des hommes !

Polyphème.

... des tout petits hommes qui se taisent et ne bougent pas, tapis au sol... qui respirent doucement... et restent serrés les uns contre les autres...
Ecoute leurs petits cœurs comme ils battent vite :
tumtum tumtum tumtum !
Je les entends... oh ! je les sens car je n'y vois rien, moi qui suis aveugle...

L'homme.

... excuse...

Polyphème.

... je n'y vois plus rien de quel côté que ce soit mais je sens tout, absolument tout...

L'homme.

... pardon...

Polyphème.

... avec le nez et les oreilles... Eh qui est là ?
Moi je sais qui c'est...
Oh oui que je le sais...
Ecoute là au fond...
Moi, je suis Polyphème, et toi qui es-tu ?

L'homme.

Mais Polyphème ce sont les enfants, nos petits invités

Polyphème.

Des enfants ?
Ah, des enfants !
Les enfants, moi je suis Polyphème, mon père est Poséidon qui commande la mer, appelle le vent...

L'homme.

... et fait venir les tempêtes quand il le veut !

Polyphème.

Oui ! Mais leurs pères à eux, qui sont-ils ?

L'homme.

Je n'en sais rien Polyphème, et ça ne m'intéresse pas, j'ai d'autres problèmes, moi...
... d'autres choses à faire...

 

(Il lui nettoie les pieds)

Polyphème.

Les enfants, qui sont vos pères ?
Que font-ils ?
Sont-ils de braves pères ?
Qui appellent les tempêtes ?
Qui ont des chèvres ?
Qui vont à la fête ? Quand j'ai été aveuglé par Personne mon père était dans une fête en Afrique...

L'homme.

...il se sera amusé un peu, Polyphème... (Il ricane)

Polyphème.

Ecoute : ma mère est la terre,
elle est grasse et forte pour pouvoir porter des géants comme moi et nous donner à manger : les soupes, le miel, le raisin, les noisettes, les racines, et quand c'est l'heure, elle me fait dormir sur son ventre nu.
Qui sont vos mères à vous ?
Sont-elles bien grasses ?
Et leurs pieds, hein ?
Ont-elles les pieds en miettes à force de marcher sur les cailloux ?
Non. Alors elles ont des mains fortes qui vous attrapent par les oreilles et vous soulèvent jusqu'à ce que vous touchiez le ciel ?
Qu'est-ce qu'elles vous donnent à manger ?
Le lait, elles vous le donnent ?
Et l'herbe pour tuer les vers dans le ventre ?
Les châtaignes sèches, elles vous les donnent ?
Pour que vous fassiez un beau caca ?

 

(Il rit à gorge déployée)

 

Moi, quand j'ai faim,

je suis capable de fendre un bœuf en bœufs,
un deux en deux, un deux en bœufs,
un deux en deux, un deux en bœufs,
qui deviennent deux bœufs que j'avale d'un coup...

 

(L'homme cherche à le corriger, mais se trompe lui aussi)

(Ils rient)

L'homme.

Bravo ! bravo, Polyphème fais-nous rire.
Mais encore plus : raconte-nous un peu la fois où tu as avalé...

Polyphème.

... un éléphant ?

L'homme.

Non, Polyphème, un...

Polyphème.

... une montagne ?

L'homme.

Mais non Polyphème, cette fois, dans la grotte...
... cette fois là !

Polyphème.

Non, celle-là non ! Je ne le dis pas...

L'homme.

Oui, au contraire, Polyphème, dis nous ce que tu as avalé cette fois là...

Polyphème.

Moi une fois, j'ai même avalé des hommes...

L'homme.

... des hommes, Polyphème ? des êtres humains ?

Polyphème.

Mais petits, petits, ils étaient petits, comme toi.

L'homme.

Et c'est pour ça que tu as été aveuglé par Personne ?

Polyphème.

Mais je les "chopés" alors qu'ils me volaient mes fromages, et mon lait et mes chèvres...

L'homme.

Tu pouvais les arrêter.

Polyphème.

... je les ai arrêtés...

L'homme.

Tu pouvais leur crier après.

Polyphème.

... je leur ai crié après...

L'homme.

Tu pouvais les frapper...

Polyphème.

... je les ai "chopés" avec la main comme ça... et sgnac ! Dans le ventre !

L'homme.

... Mais pas les manger !

 

(Il s'en va.)

Polyphème.

Mais ils n'étaient pas bons du tout, tu sais, je les ai encore sur l'estomac, qui montent et qui descendent, en haut en bas, en haut en bas...

  
 

La barque sur l'estomac.

  
 

La tunique de Polyphème se soulève, laissant apparaître un torse creux où évoluent des marionnettes : ce sont des marins dans un navire.

 

- OH ! EH ? En quelle année sommes-nous ?

Polyphème.

Quelle année ? Mille... je ne me rappelle pas...

 

- Je ne le sais pas, ici le temps ne passe jamais.

 

- OH ! EH ? En quel mois sommes-nous ?

Polyphème.

C'est le mois du froid... froid...

 

- Je ne le sais pas, ici rien ne change jamais.

 

- OH ! EH ? Quel jour sommes-nous ?

 

- Comment "quel jour?" : ici il fait toujours nuit !

Polyphème.

Et c'est à moi que vous le dites, justement à moi.

 

- OH ! EH ? Quelle heure est-il ?

 

- C'est l'heure de te taire !

 

- Alors c'est l'heure d'aller en haut en bas, en haut en bas...

Polyphème.

C'est l'heure que vous vous taisiez tous les deux et que que vous alliez en bas, en bas, en bas !

 

(La lumière revient, l'homme n'est pas là, le géant parle aux enfants)

Polyphème.

Ecoutez les enfants, c'est pour cela qu'ils m'ont aveuglé, que je n'y vois plus, mais Polyphème se rappelle encore bien les couleurs : dehors, de quelle couleur est le ciel aujourd'hui ? Il est bleu ?
oui, il est bleu !
Et au milieu il y a le soleil... jaune.
Et noire est la nuit et les étoiles brillent, et la lune est blanche quand elle apparaît... sur la mer.
Et l'herbe est verte et puis devient rousse, et le raisin est d'or et de pourpre sont les fraises, et les lis sont si blancs que lorsqu'on reste au milieu, la tête tourne et le cœur s'agrandit.
Dis-moi, c'est encore comme ça ? Non ne dis rien ! Non ne dis rien.
Ssssssssssssss...
Polyphème est aveugle, il ne voit plus les couleurs, et alors :
si après la pluie apparaît l'arc-en-ciel,
qu'est-ce que ça peut lui faire à l'aveugle Polyphème ?

 

(Il pleure)

 

(Polyphème pleure, l'homme arrive portant un agneau dans les bras)

L'homme.

Beeehhhhh ! (Trois fois, jusqu'à ce que Polyphème l'entende)

Polyphème.

C'est toi mon petit agneau ? Mais tu es Brunetto ou bien Bianchino ?

L'homme.

Beh ? (Il ne sait pas)

Polyphème.

Tu es Bianchino ! (bêlement)
As-tu faim ? (bêlement)
As-tu soif ? (bêlement)

 

(Polyphème commence à rire, avance la main et prend dans ses bras l'agneau qui se met à lui lécher la figure, les rires de Polyphème redoublent)

 

Mais oui que je te connais !
Où es-tu Bianchino ? Viens ici que Polyphème te fasse jouer ! Ah, voilà !
D'abord, Polyphème te donne un bisou.

 

(bêlement d'acquiescement)

 

Alors viens Polyphème va apprendre un nouveau jeu :
il te fait voler !
Regardez comme il vole bien cet agneau !
Regardez on dirait un petit aigle.
Mais que fais-tu ?
Mais que fait ce petit...
Tu as envie de jouer !

 

(Polyphème essoufflé se met à tousser)

 

Ah, mais à présent, Polyphème est vieux, il se fatigue vite...

Ecoute mon agneau, je leur voulais du bien, moi, à mes brebis, à mes agneaux, à mes moutons. J'étais bien avec eux, je leur donnais une maison et des caresses et eux m'offraient leur compagnie et leur laine et leur bon lait...
Lait ? Lait...
Calme ! mon petit agneau, fais leur voir maintenant à ces petits enfants comment on prend le lait. Ce n'est pas pas difficile, voilà...
Et voilà qu'arrive ta maman, bonjour Madame Bianchina !
Avez-vous du lait ce matin ?
Mais bien sûr que vous en avez.
Alors, voyons ça...

 

(Polyphème la trait, le lait gicle de toutes parts et l'homme est arrosé)

Polyphème.

Regarde comme on fait pour faire sortir le lait, ce n'est pas difficile !
Prenez-en tous, petits hommes, prenez le lait de Polyphème, buvez, que vous deveniez aussi grands que lui, grands et forts comme les cyclopes !

L'homme.

Buvez et souriez, mais souriez pendant que vous buvez ! Buvez et grandissez, mais grandissez quand vous buvez ! Buvez et souriez, mais souriez pendant que vous buvez, pas avant !

 

(Le téléphone sonne)

Polyphème.

Eh ? Qui est-ce ? Qui est-ce ?

 

(L'homme prend un téléphone énorme)

L'homme.

Le téléphone !
Oui, oui, nous sommes là, oui...
Je vous le passe de suite. C'est pour toi !

Polyphème.

Allo ! Allo ! Qui est-ce ? Qui êtes-vous ? Mais enfin qui êtes-vous ? hein ?

Voix off.

Ô aveugle ! Tu aurais pu le deviner.
C'est ainsi que cela devait finir.
et c'est seulement à présent,
alors que tu ne peux plus voir,
que tu commences à réfléchir et à comprendre.

Polyphème.

Mais enfin qui êtes- vous ? Vous êtes un beau malpoli, vous savez ?

Voix off.

Jamais plus tu ne verras la lumière des étoiles,
le ciel, les villes, les nuages et la mer.
Toutes ces choses belles et lumineuses,
désormais tu ne pourras plus les voir qu'en songe.

Polyphème.

On peut savoir qui est à l'appareil ?

Voix off.

Personne est mon nom.
Personne me nomme mon père.
Personne me nomme ma mère.
Personne me nomment mes compagnons.

Polyphème.

Personne ? Personne !
Toujours Personne !
Qui t'as donné mon numéro de téléphone ?
Personne de nouveau dans ma maison !
Que veux-tu, Personne ?
Personne vole le lait, Personne vole le fromage,
les brebis, vole ? Mais cette fois, non !
Cette fois, je te mange.
Viens ici, fais-toi prendre que je te mange en premier, cette fois, voleur de fromages...
Viens ici que je te mange tout cru !

 

(L'homme a mis à l'abri la brebis et son chapeau)

L'homme.

TAVLARIDIS ! TAVLARIDIS !

 

(Le géant se tait et baisse la tête)

L'homme.

(très en colère)

TAVLARIDIS ! TAVLARIDIS

 

(Il s'assoit et boit un coup)

Polyphème.

Non, pas Tavlaridis, non...

L'homme.

Et au contraire oui ! TAVLARIDIS ET TAVLARIDIS !
Ca va pas non ! Non mais pour qui tu te prends mon gros ?
Tu crois que je suis là par plaisir ?
Eh bien non, ça ne me plaît pas !
Tu crois que je
sautecourtrepasseadmirefaitdéfaitprendjette
bouletourneboule
parce que ça me plaît ?
Non, ça ne me plaît pas, pas même un peu !
Tu veux savoir la vérité ? La vérité c'est que moi je fais, je fais, je fais et toi tu défais, défais, défais...

Polyphème.

Excuse-moi.

L'homme.

Pas d'excuse, non pas d'excuse !

Polyphème.

Que fais-tu ?
Tu bois et tu ne me dis rien ?
Allez, donne-m'en un petit coup à moi aussi...
allez, donne-moi un peu de vin, mon ami...
allez mon pote...
sois sympa...

L'homme.

Oui, je suis ton pote, mais tu jures, tu promets et tu jures que tu feras tout ce que tu dois faire ?

Polyphème.

Je jure, je promets et je jure de faire tout ce que je devrai faire !
Donne-moi un peu de vin...
que Polyphème a mal à la tête...
... et qu'il a le cœur lourd...

 

(L'homme lui donne à boire)

Polyphème.

Tu... tu... tu... es, es, es... mon...
puceron !

L'homme.

Et toi ? Tu sais ce que tu es toi ? Tu es mon...
gros jambon !

Polyphème.

Alors toi, mon tout p'tit, t'es mon...
hanneton !

L'homme.

Alors, alors toi, tu veux savoir ce que tu es...

 

(L'homme lui saute dans les bras et lui parle à l'oreille, ils rient)

L'homme.

Pense que lorsque j'étais petit, je disais : moi, moi quand je serai grand, je serai le plus grand dompteur de puces du Monde !
Tu vois un peu maintenant que je suis grand... (Il rit)

Polyphème.

Moi quand j'étais un petit géant je me bagarrais avec les ours qui me volaient le miel, on se donnait de grandes baffes sur la tête et je leur disais :
Rends-moi non miel ! Boum !
Et l'ours disait :
Non, il est à moi Boum !
Et moi : Non ! Boum ! Et lui : Non ! Boum !

 

(L'homme s'endort sous les coups en riant)

(Polyphème se rend compte qu'il dort et le berce, ivre lui aussi)

Polyphème.

Sciuri, sciuri, sciuriddi tutto l'anno
l'amuri ca mi dasti ti lu torno...

Là où j'habite en Sicile, il y a une montagne
qui a un trou sur la tête et se nomme Etna.
Quand il se met en colère, il s'enflamme,
crache toutes sortes de choses en feu,
pierres de feu, fumée de feu
et fait des étincelles...
Que je pouvais regarder pendant des heures !

 

Le couvercle conique de la dame-jeanne de vin a été posé sur le côté. De son sommet jaillit un feu d'artifice : c'est l'Etna.

 

Au contraire aujourd'hui, tout est dans l'obscurité, sombre, noir...

 

(Il tombe de sommeil, la tête sur les genoux, en écrasant l'homme)

L'homme.

Il dort le colosse, il est fatigué, c'est le moment, courage compagnons, en avant !

 

(Apparaissent les petits hommes qui l'aveugleront)

Ulysse.

Courage, compagnons !
Courage mes amis, nous sommes près du but !
N'ayez pas peur, ne tremblez point !

Compagnon.

Et... et... qui... qui... trem... tremtrem... tremble ?

Ulysse.

Allez, tiens fermement le bois sur le feu.
Calme-toi !

Compagnon.

Oui, oui, je suis calme, je suis calme.

Ulysse.

Oui ! oui ! Comme ça... un peu de ce côté un peu de l'autre !
Regardez comme il vient bien !

Compagnon.

Il est prêt ?

Ulysse.

Chut ! Tais-toi ! Silence, les Dieux sont avec nous !

Compagnon.

Où... Où... Où ça, Ulysse ?

Ulysse.

Tais-toi crétin !
Allez, allez c'est le moment !
Tenons-le ferme, voilà, comme ça, maintenant...

Polyphème.

Au secours, ils m'ont aveuglé ! Frères cyclopes, ils m'ont aveuglé ! Je n'y vois plus ! J'ai été aveuglé par Personne ! Personne !

 

(L'homme saute joyeux de dos au public)

L'homme.

Aveugle, oui. aveugle !
Cyclope, si un mortel te pose des questions sur ton horrible blessure, réponds-lui que c'est le destructeur de forteresses, Odyssée qui t'a aveuglé, le fils de Laërte qui vit en Ithaque !

Polyphème.

0 Poséidon, si je suis réellement ton fils, fais que Personne ne puisse jamais retourner dans sa patrie, ou qu'il y arrive sans un seul de ses compagnons et trouve sa maison dans le malheur !

 

(L'homme applaudit à la fin de la malédiction)

L'homme.

Bravo, bravo, excellent, Polyphème !
Mesdames et Messieurs un applaudissement spécial pour Polyphème qui aujourd'hui S'est vraiment dépassé !
Bienheureux public, vous avez assisté à un numéro unique, qui ne marche pas à tous les coups, vu le risque énorme qu'il comporte ! Un applaudissement et un grand bravo à Polyphème le cyclope !

Polyphème.

Assez ! Moi je dis : Assez !

L'homme.

... eh mais Polyphème, qu'est-ce que tu dis ?

Polyphème.

Polyphème n'est pas en carton-pâte, il a un vrai cœur qui bat à l'intérieur !

L'homme.

Mais qu'est-ce que tu racontes grosse bête, tu es ivre...

Polyphème.

Non, il n'est pas ivre Polyphème... Polyphème en a assez d'être monstre...

L'homme.

... voilà Messieurs. Polyphème est fatigué, peut être est-il préférable de le laisser se reposer...

Polyphème.

... Polyphème n'est pas grand, ce sont les autres qui sont petits, comme toi...
Ce sont eux les monstres !

L'homme.

D'accord Polyphème, mais maintenant soit gentil, tu as compris, grosse bête ?

Polyphème.

Tu ne comprends pas, tu ne comprends pas !
Tu sais que le géant Polyphème, s'il veut...

L'homme.

Stop ! Stop !

 

(L'éclairage de Polyphème s'éteint)

L'homme.

(effrayé) Attention, attention !
Ici se termine l'attraction du Cyclope Polyphème,
Allons-y, allons-y...
Le colosse est à présent fatigué, mais bientôt d'autres cœurs battront à la vue de la dernière merveille...
Maintenant, il est préférable de le laisser se reposer, mais d'autres terres, d'autres cieux, d'autres petits hommes attendent le dernier des géants...
D'autres yeux, d'autres oreilles, d'autres nez veulent connaître le dernier des cyclopes... il faut leur en laisser un peu, non ?
Cher public, un peu chacun, il y en a pour tout le monde...
Allons-y, allons-y...
D'autres cœurs veulent battre de douceur, et de peur...
Les vôtres ont battu aujourd'hui, hein ? vous êtes contents ?
Au revoir et à bientôt, faites vite, vite, pour...

 

(La lumière revient sur Polyphème qui est à présent debout)

Polyphème.

Tais-toi à présent, il faut que je parle à ces pitchounets. Ecoutez-moi les enfants et dites-moi :
il est grand Polyphème ?
il est fort Polyphème ?
il est beau Polyphème ?
... alors tu...

L'homme.

Non, rien n'est vrai., tu n'es ni grand, ni fort, ni beau, tu... tu...
Tu es artificiel, artificiel !

Polyphème.

Artificiel ? Artificiel ?

 

(Le mannequin tombe et apparaissent les trois manipulateurs)

La voix.

Alors tu n'es pas Personne.

 

(Les trois manipulateurs s'en vont)

L'homme.

NON !
Non, je ne voulais pas en arriver là...
Je ne pensais pas que vous...
Polyphème, grosse bête, lève-toi, au moins...
Relève-toi, colosse... allez... lève-toi, lève-toi !
Polyphème, reviens !
Je ne voulais pas que ça finisse comme ça !
Colosse, remets-toi debout, debout...
La dernière des merveilles... debout le géant allez !
je...
je suis seul, maintenant, Polyphème, relève-toi...
pour moi...
Et les ours hein ?
qui nous volaient le miel ?
Et on se donnait des coups... Boum et bim et boum...
Lève-toi grosse bête, et on se disait... boum...
le miel... boum, boum, Polyphème ! Debout !

 

(Il entre lentement dans la tête du mannequin)

 

NOIR

 

TEATRO DELLE BRICIOLE
TEATRO AL PARCO - PARCO DUCALE 1, 43100 PARMA
TEL. (0521) 992044, 992046 - FAX (0521) 992048