THYSIA
le sacrifice
Le mot thysia, issu d'une terminologie de pratiques religieuses,
désigne littéralement une offrande faite aux dieux dans le dessein de
les apaiser, de s'assurer leur assistance, ou simplement de leur
exprimer des remerciements.
Comme la prière, le sacrifice, avec ou sans effusion de sang, était le
principal moyen, pour l'individu ou pour le groupe, de communiquer avec
les dieux et figurait au coeur de toute cérémonie religieuse. En
pratique, du moins pour la Grèce des temps historiques, la victime
sacrificielle que l'on tuait était toujours un animal. Pourtant, dans la
mythologie, qui évolue au niveau des symboles archétypaux, et reflète
par ailleurs des pratiques rituelles antérieures, le thème du sacrifice
d'une vierge intervient avec une fréquence frappante.
Le plus souvent avant une bataille, parfois après, plus rarement en
d'autres circonstances, les hommes sont obligés de livrer à la mort une
jeune fille. En vertu de l'axiome magique qui veut que "le plus haut
mérite le meilleur", c'est en général la meilleure, la plus belle, la
plus noble jeune fille, la fille du chef qui devait être offerte, afin
que la demande pût avoir l'effet désiré.
La jeune fille vierge est menée à l'autel. Sa mort signifiera le début
de la guerre et du massacre. Elle qui, lorsqu'elle était encore en vie,
était l'obscur objet du désir, une source de tension et de conflit entre
les hommes du groupe, devient maintenant le lien connecteur qui les unit
dans une entreprise commune. Le sang répandu de la jeune fille exige
vengeance et met à feu la nature agressive des hommes. L'image de la
vierge, qui vit dans une autre dimension, mène les hommes à la bataille.
Pour que le sacrifice soit acceptable, cependant, la victime doit être
consentante et s'offrir de son plein gré, absolvant par là la société
d'un sentiment de culpabilité, et de la crainte d'une vengeance. Afin
d'honorer, et aussi d'apaiser la jeune fille qui s'est offerte pour le
salut de tous, le groupe établit un culte posthume, avec des offrandes.
Ces mythes sont entremêlés avec les rituels primitifs et en relation
avec des "événements" situés dans un lointain passé héroïque. On en
trouve dans différentes régions de Grèce, avec des acteurs différents.
Ils sont attestés dans l'épopée archaïque la plus ancienne (VIIIe-VIIe
s.), ou peuvent être détectés dans des cultes locaux.
Outre sa signification littérale, le mot sacrifice est également utilisé
au sens plus large de l'abandon de quelque chose de valeur personnelle,
réalisation personnelle, bonheur, ou même la vie, offerte au nom d'un
idéal largement accepté.
Une condition nécessaire dans ce cas est la possibilité d'un libre choix
et un processus intellectuel conscient qui mène à la décision finale. Ce
n'est pas une coïncidence, bien sûr, que les questions de cette nature
aient fait leur première apparition dans le contexte de la tragédie
classique, qui vit des dilemmes et des conflits intérieurs de ses héros.
Les grands tragiques ont adapté les vieux mythes et "créé" une série de
héros, et surtout d'héroïnes, qui s'offrent en sacrifice, proposant des
modèles de vertu qui s'accordaient avec les conceptions dominantes de
l'époque et se trouvaient par conséquent extrêmement populaires.
Evadné, qui se jeta sur le bûcher funéraire de son époux, afin de le
suivre dans la tombe, ainsi qu'Alceste, sont des incarnations parfaites
de la fidélité conjugale, cependant qu'Antigone et Electre sont des
modèles de la bonne soeur et de la fille dévouée. Elle donnent
l'expression la plus claire possible du modèle féminin mythique qui
convenait si bien à la société patriarcale d'Athènes.