EROS
l'amour
L'amour, l'amitié, le désir, l'attirance : les quatre
points cardinaux qui définissent les relations les plus
étroites, les plus sensibles entre les êtres humains.
Le bonheur complet et la douleur cuisante. Une émotion
qui transporte, qui soulève la tempête dans les
coeurs, balaie les cadres établis, vainc la raison,
déstabilise le comportement et transforme l'attitude de
l'individu envers le monde. Force motrice derrière la
révolution permanente, cause et effet du bouleversement
et de la restauration des choses, l'amour nourrit l'espoir, mais
donne aussi naissance à la peur. Aussi malvenu et
destructeur que la mort, avec laquelle il partage le glaive de la
destinée, l'amour attaque inexorablement, il
ébranle les fondements de l'ordre et de l'équilibre
social.
Si l'amour contenu est harmonie, l'amour passionné,
l'amour disproportionné est destruction, et se manifeste
par l'imprudence, la folie insensée et la vengeance des
dieux.
Mais qui dira l'audace sans bornes de l'homme et les
amours effrénées des femmes au coeur
impudent et les malheurs qui en sont inséparables.
L'amour en délire qui s'empare des femelles
détruit l'union des couples chez les bêtes et
chez les hommes.
Eschyle, Les Choéphores 594-601
(Trad. Emile Chambry)
La poésie épique, qui comporte relativement peu
d'analyse psychologique, traite du sujet avec calme. Dans la
poésie épique, la valeur d'une femme se mesure
à l'aune de sa beauté, de sa noble extraction, et de
sa bonne éducation. Les héroïnes qui
possèdent ces qualités de base - le
caractère moral et la fiabilité des femmes de noble
naissance - sont entourées d'un rayonnement que les
transgressions érotiques ne peuvent écarter.
Les autres formes poétiques, cependant, surtout la
poésie lyrique, sont colorées d'un érotisme
sensuel qui ne se satisfait pas seulement de la sujétion
amoureuse d'une femme, mais laisse aux femmes la
possibilité de lutter pour un rôle de premier plan. Une
étincelle de passion érotique suffit pour sortir la
femme de sa léthargie sociale, l'inciter à mettre en
question sa position prédéfinie, mettre en marche
sa nature combative et son esprit de compétition. Le plus
souvent, ce sont les conflits de l'amour tendre (agapè)
qu'exalte la poésie, mais il est des tragédies tout
entières qui tournent autour de l'axe de l'amour
passionné (éros), et dont le seul contenu
substantiel est la passion féminine.
A mesure que s'humanisent les personnages mythiques, le drame
laisse prédominer les scènes d'émotion
sauvage, avec des descriptions prenantes de passions
tempétueuses et de désir violent. Les femmes que
le théâtre peint comme amoureuses sont en un sens
des anti-héroïnes, en ce qu'elles sont louées
pour leur grandeur d'âme et leur héroïsme, qui
naît d'une série de sentiments et de besoins
chargés négativement, comme la jalousie, la
passion débridée, voire l'adultère.
Dans la plupart des cas, le véhicule de la passion
amoureuse dramatique est une femme mariée qui subit la
trahison de son époux. Humiliée pas son abandon,
blessée dans son amour, elle voit avec terreur sa
personnalité se détruire, puisque le rôle
même qu'on lui a assigné est rejeté. Le
changement d'attitude de la part de son époux
amène un changement progressif dans son être
même. Privée de tout objet à
défendre, la femme est transformée en monstre.
Son amour se change en haine. Une telle révolution est
violente parce qu'ayant perdu sa place dans la maison, elle n'a
plus rien à perdre. L'amour qui conquiert tout,
désormais devenu Eros le vengeur, arme son bras.