Ecoutez plutôt le discours que, concernant l'amour, 
j'ouïs un beau jour d'une femme de Mantinée, 
nommée Diotime, laquelle sur ce chapitre était 
savante comme aussi sur une foule d'autres [...].
Une fécondité, vois-tu, Socrate, existe, dit-
elle, chez tous les hommes : fécondité selon 
le corps, fécondité selon l'âme, et, quand 
on en est venu à un certain âge, alors notre 
nature est impatiente d'enfanter. Or cet enfantement lui est 
impossible dans de la laideur, mais non point dans le beau. 
L'union de l'homme et de la femme est en effet un enfantement, 
et dans cet acte il y a quelque chose de divin ; c'est 
même, chez ce vivant qui est mortel, un caractère 
d'immortalité : la fécondité et la 
procréation. Mais il est impossible qu'elles aient lieu 
dans ce qui est discordant.
Or il y a discordance de ce qui est laid à 
l'égard de tout ce qui est divin ; ce qui est beau 
est au contraire en accord. 
Donc ce qui est Parque et Ilithye pour la production d'une 
existence, c'est la Beauté. C'est pourquoi, toutes les 
fois que l'être fécond vient au voisinage d'un bel 
objet, il en éprouve un apaisement délicieux qui 
le fait s'épanouir, et alors il enfante, il 
procrée. Mais toutes les fois que c'est d'une laideur, 
alors, assombri et plein d'affliction, il se met en boule, il 
se détourne il se replie ; alors il ne 
procrée pas, mais il garde le pénible fardeau de 
sa fécondité. 
C'est de là sûrement que résulte, chez 
l'être fécond et déjà gros de son 
fruit, le prodigieux transport qui le saisit à l'entour 
du bel objet, parce que celui qui possède ce bel objet 
est libéré d'une cruelle souffrance 
d'enfantement. L'objet de l'amour en effet, Socrate, ce n'est 
point, dit-elle, le beau, ainsi que tu te l'imagines... 
- Mais qu'est-ce alors ? 
- C'est de procréer et d'enfanter dans le beau.
 
Platon, Le Banquet, 206 c-e