Chapitre 3e

La danse dans la vie privée



1. Danses funèbres

Dès l’époque préhistorique, on exécutait des danses funèbres et une danse funèbre en armes, appelée prylis, est attestée dans la Crète minoenne.

Dans les cortèges funèbres, dont nous pouvons admirer de magnifiques représentations sur des vases géométriques de la seconde moitié du VIIIe siècle av. J.-C., on faisait appel à des pleureuses professionnelles qui exécutaient de toute évidence diverses gesticulations et quelques pas de danse. Ces cortèges étaient constitués de longues théories d’hommes, de femmes et même d’enfants, les mains posées sur la tête, attitude caractéristique de la lamentation, qui défilaient lentement, au son de la lamentation funèbre (figure 22). Sur certaines représentations, nous voyons aussi des hommes qui défilent avec des épées à la ceinture, « défilé » que certains spécialistes interprètent comme une forme de danse funèbre.

 

2. Danses nuptiales

Les danses nuptiales sont déjà attestées chez Homère. Un trait propre à ces danses est l’Hyménée, le chant de mariage que chantaient et dansaient les compagnes de la mariée, en l’escortant vers la maison de son futur époux.

Au chant XVIII de l’Iliade, dans la longue description qu’il nous livre de l’armement d’Achille, Homère cite trois danses qui ornaient le bouclier du héros. Dans la première danse (vers 490-496), les mariées sont conduites depuis leurs maisons, à travers les rues de la ville à la lueur de torches et au son de la musique.

Dans sa tragédie Les Troyennes, Euripide nous offre également une description très évocatrice d’un cortège nuptial. Cassandre, devant le sanctuaire d’Apollon à Argos, s’écrie un peu avant d’épouser Agamemnon:

«C’est moi qui pour mes propres noces,
tenant haute la flamme du feu,
fais rayonner et resplendir en ton honneur, ô Hyménée,
en ton honneur, ô Hécaté,
la lumière qui doit briller au mariage d’une vierge,
ainsi que l’exige le rite.
Bondis haut dans l’air.
Mène, mène le chœur, Évan ! Évoé !
comme aux jours les plus heureux de mon père.
Le chœur est saint :
Conduis-le toi-même, Phoibos,
en l’honneur de ta prêtresse
dans ton temple, parmi les lauriers.
Hymen, ô Hyménée, Hymen !
Prends part aux chœurs, mère,
entre dans la danse,
tourne et dans la ronde
cadence tes pas aux miens pour me plaire.
Chantez l’Hyménée, acclamez l’épousée
par des hymnes et des cris d’allégresse ! »

(Les Troyennes, vers 321-335, traduction : I. Parmentier, éd. Les Belles Lettres, Paris)

On peut lire une autre description très évocatrice de danses nuptiales, dans la tragédie d’Euripide, Iphigénie à Aulis, lorsque les Piérides (autre nom des Muses) et les Néréides escortent le cortège nuptial de la déesse Thétis et du mortel Pélée (figure 23):

«Quel chant d’hyménée aux sons de la flûte libyenne,
de la cithare amie des danses et de la syrinx de roseaux,
fit résonner ses accents,
au jour où, sur les pentes du Pélion,
les Piérides aux belles boucles,
lors du banquet divin,
frappaient le sol de leurs sandales d’or
en se rendant aux noces de Pélée ?
Mélodieuses, elles célébraient de leurs voix
Thétis et l’Éacide, sur les monts des Centaures,
par les forêts du Pélion.
...Et le long des plages de sable clair où s’enlaçaient leurs rondes
les cinquante filles de Nérée
fêtèrent les noces par leurs danses. »

(Iphigénie à Aulis, vers 1036-1057, traduction F. Jouan, éd. Les Belles Lettres, Paris)

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22. Au registre supérieur du vase est figurée l’exposition d’un mort. Le défunt, placé sur le char qui va le conduire au lieu de sa sépulture, est entouré de figures dans l’attitude caractéristique du thrène. Le registre inférieur représente un cortège de chars. (Cratère attique géométrique, 745-740 av. J.-C. Il est attribué au peintre d’Hirschfeld - Athènes, Musée Archéologique National)
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23. Les noces de Thétis et de Pélée. (Cratère attique à volutes, à figures noires, connu sous le nom de « Vase François », 570-565 av. J.-C., Florence, Museo Archeologico Etrusco)
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24 Une jeune fille joue de l’aulos, tandis que le kômaste danse. (Assiette attique à figures noires de Psiakos, 520-510 AV. J.-C., Bâle, Antikenmuseum und Sammlung Ludwig)

 

3. Danses de banquet

Dans les banquets, les danses duraient des heures entières. A part les convives eux-mêmes (kômastai) qui dansaient souvent au son de l’aulos, de la lyre ou du barbiton (figure 24) il existait également des danseurs professionnels. Homère nous livre une description très plaisante de ces danses dans l’Odyssée (chant VIII, vers 250-251), au moment où le roi Alcinoos invite les meilleurs danseurs à se produire dans un banquet organisé en l’honneur d’Ulysse. Le musicien commence à jouer sur sa lyre, et aussitôt les jeunes gens se mettent à danser autour de lui, tantôt ensemble, tantôt seuls. Ils frappent le sol de leurs pieds et Ulysse est charmé par leurs pas. Un peu plus loin (vers 370-384), Alcinoos demande à deux danseurs chevronnés d’interpréter une danse qui associe jeu et acrobaties avec un beau ballon de pourpre : quand l’un envoie la balle « jusqu’aux sombres nuées », l’autre, avec une souplesse étonnante, saute en l’air pour la rattraper en plein vol, cependant que les autres danseurs battent la cadence dans leurs mains.

Il était fréquent, après la fin du banquet, que les convives forment un groupe heureux, le kômos, en dansant et en chantant dans les rues.

 

4. Danses rustiques

Depuis l’époque préhistorique, il existait des danses liées aux travaux des champs et aux célébrations consécutives à la récolte pour remercier les dieux. Le célèbre « Vase des Moissonneurs » découvert à Aghia Triada en Crète, et datant de 1500-1450 av. J.-C., figure un cortège célébrant la saison de la moisson par des chants et probablement des danses. Les « moissonneurs » avancent d’un pas allègre et cadencé et l’un d’eux tient à la main un sistre (figure 25).

La scène se déroule à l’instant où les paysans rentrent des champs, après une abondante moisson. Ils forment un joyeux défilé qui, par la gestuelle et le chant, constitue une sorte d’action de grâces rendue à la divinité.

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25 Cortège d’hommes tenant des outils agricoles et chantant joyeusement au son du sistre. (Rhyton en stéatite noire, provenant d’Haghia Triada en Crète, connu sous le nom de « Vase des Moissonneurs », 1500-1550 av. J.-C., Hérakleion, Musée Archéologique)


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