Chapitre 2e

La danse au théâtre



1. Tragédie

C’est au poète Thespis que l’on doit, au milieu du VIe siècle av. J.-C, d’avoir fait franchir au dithyrambe le pas énorme qui devait déboucher sur le drame et en particulier sur la tragédie. Originaire du dème d’Icarie en Attique, Thespis introduisit le premier acteur, l’ « hypocrite », et le sépara du groupe du chœur. C’est également lui qui fit dialoguer l’acteur avec le chœur dans des vers qui étaient déclamés et se démarquaient donc du chant en vers interprété par le chœur. Lorsqu’en 534 av. J.-C., Pisistrate, le « tyran » athénien, introduisit les Grandes Dionysies (ou Dionysies urbaines), en fondant au sud-est de l’Acropole un sanctuaire en l’honneur de Dionysos et en organisant une célébration grandiose, Thespis fit représenter pour la première fois un drame. Jusqu’alors en effet, le poète et sa petite troupe, le chariot de Thespis, parcouraient l’Attique, se produisant de village en village, et prenaient part aux fêtes dionysiaques célébrées ici et là au printemps.

Initialement, le chœur tragique était constitué de cinquante choreutes ; leur nombre passa ensuite à douze (innovation d’Eschyle) puis, plus tard encore, à quinze (innovation de Sophocle). Membre du chœur, le choryphée en était aussi le chef. Le chœur entrait par la parodos de droite en une formation rectangulaire, par rangs κατά ζυγά/kata zyga (par exemple 5 x 3 choreutes) ou par files κατά στοίχους/kata stichous (3 x 5 choreutes). Le premier chant que le chœur interprétait au moment où il entrait sur l’orchestra, l’espace circulaire du théâtre, d’un pas rythmé, s’appelait parodos. L’aulète marchait en tête et accompagnait au son de l’aulos la marche et la danse du chœur. L’orchestique se composait essentiellement des stasima ou intermèdes lyriques séparant les épisodes dramatiques, la partie dialoguée du drame qui correspondent aux actes de nos tragédies. Comme la parodos, les stasima étaient chantés et dansés par le chœur au son de l’aulos double. De l’avis de certains spécialistes, le chœur interprétait les strophes du stasimon en se déplaçant de gauche à droite et les antistrophes de droite à gauche. Quant à l’épode (la strophe poétique qui vient après les strophes et les antistrophes), elle était vraisemblablement chantée par le chœur immobile. Pendant les didascalies, les choreutes tournaient le dos aux spectateurs et seul le choryphée dialoguait à plusieurs reprises avec les acteurs (figure 15).

Cliquer pour agrandir
16. Chœur tragique devant l’autel de Dionysos. Les danseurs portent des masques de jeunes gens. La représentation sur le vase fait probablement référence à une tragédie d’Eschyle, aujourd’hui perdue, intitulée « Les jeunes gens » (Neaniskoi). (Cratère attique à colonnettes, vers 490 Av. J.-C., Bâle, Antikenmuseum und Sammlung Ludwig)

 

La danse de l’hyporchème, sorte de pantomime accompagnant un chant joyeux habituellement en l’honneur d’Apollon, était plutôt allègre. Quant au commos, ou chant de deuil, interprété alternativement par le chœur et un ou deux acteurs qui se répondaient, il était ponctué de mimiques de douleur (figure 16). Pour les Grecs anciens, la gestuelle dite chironomia, qui désignait notamment les gestes des bras et des mains accompagnant un chant, constituait une forme de danse. Après l’exodos, qui était la dernière partie dialoguée de la tragédie, à la fin du drame, le chœur chantait quelques vers mis en musique et sortait de l’orchestra, habituellement comme il y était entré, c’est-à-dire en formation rectangulaire.

Les choreutes étaient toujours des hommes : ils portaient des masques et interprétaient également les rôles féminins. Comme pour le dithyrambe, c’étaient des chorèges qui subvenaient aux dépenses occasionnées par le chœur.

L’orchestique caractéristique des tragédies est appelée par de nombreux auteurs l’emmélie. On a beaucoup débattu pour savoir si ce terme se réfère à la marche du chœur, lorsqu’il défile en formation rectangulaire, ou à l’ensemble des parties chantées et dansées par le chœur (χορικά/chorica) dans la tragédie. L’ensemble des mouvements symboliques effectués par le chœur porte le nom de χειρονομία/cheironomia.

À la fin de l’époque classique, divers changements intervinrent dans le chœur de la tragédie. On sait que le poète tragique Agathon inaugura les εμβόλιμα/embolima (littéralement : les parties « intercalées »), interventions du chœur, sans rapport avec le sujet de la pièce et qui pouvaient trouver leur place dans différentes tragédies. Dès le milieu du IIe siècle av. J.-C., les parties chantées et dansées par le chœur (chorika) cessent de faire partie intégrante de la tragédie et les chants sont d’ordinaire interprétés sans accompagnement de gestuelle.

Cliquer pour agrandir
17. Chœur tragique s’agenouillant dans la gestuelle caractéristique du thrène, autour d’une stèle hermaïque surmontée de la tête de Dionysos. (Lécythe attique à figures noires, 500-40 av. J.-C., Munich, Staatiche Antikensammlungen)

 

2. Comédie

En Grèce, la Comédie, en tant que genre théâtral, est postérieure à la tragédie ; mais elle avait connu bien des avatars différents avant son apparition officielle. Il pouvait s’agir de danses rustiques liées à la vendange, de processions visant à invoquer la fertilité, de pantomimes, de « défilés » joyeux et bruyants dans les rues, constitués essentiellement de jeunes gens éméchés, ou encore de danses masculines où les danseurs arboraient des têtes d’animaux (figure 17).

Ces danses évoluèrent jusqu'à devenir, à un moment donné, un genre élaboré officiel, la Comédie, grâce à l’introduction d’une action, ainsi que d’acteurs, de costumes et de masques. Mais les danses improvisées ne cessèrent jamais pour autant.

La comédie fut intégrée dès 486 av. J.-C. aux Grandes Dionysies, autrement dit un demi-siècle après la première représentation d’une tragédie. Les spécialistes distinguent trois périodes  dans la comédie: de 486 av. J.-C. à la fin du Ve siècle, la comédie ancienne ; du début du IVe siècle jusque vers 320 av. J.-C., la comédie moyenne et de la fin du IVe siècle à l’époque romaine, la comédie nouvelle.

Cliquer pour agrandir
18. Danse d’hommes déguisés en coqs, suivant l’aulète menant le cortège. (Amphore attique à figures noires, vers 500 av. J.-C., Berlin, Staatlichen Museen zu Berlin - Antikensammlung)

 

La comédie ancienne, dont le principal représentant est Aristophane, avait un caractère spectaculaire. Elle faisait une large place à l’attaque personnelle et aux propos obscènes et se caractérisait également par l’importance des parties lyriques interprétées par le chœur, ses sujets comiques de pure fantaisie et les thèmes mythologiques. Le chœur, constitué de vingt-quatre choreutes, incarnait parfois des créatures allégoriques (oiseaux, animaux, villes ou nuages) (figure 18). Tous les choreutes portaient des costumes fantaisistes et pleins d’invention. Le chant et la danse occupaient une place privilégiée comme dans la tragédie, avec laquelle la comédie présente du reste un certain nombre d’analogies de structure. Ainsi, après le prologos, le chœur entrait dans l’orchestra en chantant la parodos. Et, comme dans la tragédie, le chœur se produisait entre les épisodes. La pièce se terminait par l’exodos ou sortie du chœur. Les poètes concouraient dans les comédies comme dans les tragédies. Mais la comédie ancienne comporte toutefois une innovation importante, par rapport à la tragédie : la parabase au cours de laquelle le chœur apostrophait directement le public au nom du poète ; habituellement, les paroles qu’il prononçait n’avaient aucun rapport avec le sujet de la comédie qui était représentée.

Cliquer pour agrandir
19. Des hommes déguisés en oiseaux entrent sur scène d’un pas allègre. Ils portent des masques d’oiseaux et des ailes collées sur les épaules. Le chœur des « Oiseaux » d’Aristophane ne devait guère différer de celui qui est représenté sur le vase et lui est antérieur de quelque 60 ans. (Oenochoé attique à figures noires, 500-480 av. J.-C., Londres, The British Museum)

 

Le chœur de la comédie ancienne, comme celui de la tragédie, se présentait souvent vraisemblablement en formation rectangulaire. Mais il y a tout lieu de penser qu’intervenaient dans chaque pièce toute une variété de danses animées et pleines de trouvailles.

Les sources nous enseignent que la danse caractéristique de la comédie ancienne était le cordax, exécuté au son de l’aulos double ; contrairement à l’emmelie, dont nous ne savons pas grand chose, il est décrit avec précision. C’était une danse bouffonne et indécente, caractérisée par des ondulations du ventre et des roulements de hanches, pieds souvent joints. Parfois aussi, le danseur se frappait les fesses, la poitrine ou les cuisses et sautait en l’air ; un texte fait même référence à une bagarre dûment orchestrée entre les membres du chœur. Toutefois, le cordax n’était pas la seule danse de la comédie ancienne. On sait que ce genre comportait également des danses d’hommes déguisés en animaux, des parodies de cérémonies religieuses et de processions sacrées, entre autres variantes.

La comédie moyenne constitue une forme intermédiaire qui préfigure la comédie nouvelle. Les danses qui y étaient exécutées ressemblaient probablement à celles de la comédie ancienne mais avaient sans doute aussi déjà perdu la vie et la fraîcheur des manifestations comiques plus anciennes.

La comédie nouvelle différait sur bien des points de la comédie ancienne. On peut la définir comme une comédie de mœurs qui met l’accent sur le réalisme, et où les acteurs incarnent des « caractères », empruntés à la vie quotidienne. Son principal représentant fut Ménandre, le dernier grand poète dramatique de l’antiquité. Les chœurs nombreux de la comédie ancienne ont disparu : désormais, entre les épisodes, intervient un petit groupe de choreutes dont les chants et l’orchestique n’ont qu’un rapport plutôt lâche avec le sujet de la pièce. Quant au cordax, il continue à être dansé jusqu'à l’époque romaine, comme une danse individuelle autonome dorénavant, à l’intérieur du théâtre bien sûr, mais également en dehors.

Il existait également chez les Grecs d’autres genres comiques mineurs : pantomime, spectacles de marionnettes ou farces dans lesquels les φλύακες/phlyakès ou bouffons avaient la vedette. Ces farces étaient à l’honneur dans les cités grecques d’Italie du Sud et de Sicile et consistaient en de joviales parodies de thèmes célèbres de la mythologie et de la tragédie ou encore de scènes de la vie quotidienne. Les bouffons qui les interprétaient arboraient des masques et étaient affublés de ventres postiches. Des danses avaient leur place dans tous ces spectacles mais nous n’avons pas d’informations sur la façon dont elles étaient exécutées (figure 19).

Cliquer pour agrandir
20. Représentation d’une pièce comique interprétée par des bouffons (φλύακες/phlyakes). Cratère apulien à figures rouges en forme de calice du groupe Suckling- Salting, vers 360 av. J.-C., Rome, Collection Malaguzzi Valeri)

 

3. Drame satyrique

À la fin du VIe siècle, un nouveau genre théâtral fit son apparition à Athènes : le drame satyrique. Consacré comme un des trois genres du drame antique, il doit son nom au fait que les choreutes y étaient costumés en satyres (figure 20). Le drame satyrique était court et bruyant et consistait souvent en pastiches d’un sujet mythologique. Sa construction était analogue à celle de la tragédie et bientôt tous les poètes prirent l’habitude de présenter aux Grandes Dionysies un drame satyrique en même temps que les trois tragédies de règle. Le drame satyrique visait surtout à faire rire et à détendre les spectateurs, après la tension et l’émotion suscitées par le spectacle des tragédies. La danse y jouait un rôle essentiel ; le fait que le poète Pratinas, père du genre, était également célèbre comme maître de danse le confirme. Le coryphée était toujours Σειληνός/Silène, un danseur qui apparaissait sous les traits d’un vieux satyre, gros et légèrement éméché.

La danse caractéristique du drame satyrique, la sikinnis (du nom de son inventeur Sikinnos) intervenait une ou plusieurs fois au cours de la pièce. C’était une danse allègre, assortie de quolibets, de pirouettes et d’acrobaties diverses. Un musicien l’accompagnait au son de l’aulos double et plus rarement de la lyre. Mais, outre la sikkinis, le drame satyrique comportait, comme la comédie, plusieurs sortes de danses : parodies de danses de la victoire, contrefaçons ridicules de chœurs tragiques, etc. Il semble qu’après le IIIe siècle av. J.-C., le drame satyrique ait connu une popularité plus grande en dehors d’Athènes que dans la cité elle-même. Et les drames satyriques continuèrent à être joués en divers endroits du monde gréco-romain jusqu'à l’avènement du christianisme.

Cliquer pour agrandir
21 Membres du chœur d’un drame satyrique. Les deux choreutes de gauche tiennent leur masque à la main, le troisième à droite le porte devant son visage et exécute un pas de danse. (Vase attique, début du Ive siècle av. J.-C., Sidney, The Nicholson Museum)


Retour Copyright © 2003 MINISTÈRE HELLÉNIQUE DE LA CULTURE Suite