Chapitre 1er

La danse dans
la vie publique et religieuse



1. La naissance de la danse : la Danse des Kourètes

Les Grecs anciens croyaient que la danse était née en Crète, chez les Kourètes. Les légendes sur l’origine des Kourètes ont plusieurs versions. Tantôt, on parle d’eux comme des fils de Gaia, la Terre, vivant dans les grottes de Crète, tantôt comme de génies, tantôt encore comme de jeunes guerriers ou de Crétois indigènes. Leur danse présente des caractéristiques très spécifiques qui sont mentionnées dans les sources : elle est exécutée par des hommes en armes qui entrechoquent leurs boucliers et leurs épées, sautent, frappent la terre du pied et tournent sur eux- mêmes en poussant des exclamations guerrières (figure 1). Or, chez tous les peuples, les danses en armes ont une double utilité : elles contribuent d’une part à fertiliser la nature ; d’autre part à éloigner les mauvais esprits grâce à des cris inarticulés. Ainsi, dans la Crète Minoenne de l’Âge de Bronze où la religion faisait, semble-t-il, une large part aux démons et aux divinités de la fécondité, les divinités de la germination pourraient être considérés comme la forme archétypale des Kourètes.

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1. Les Kourètes dansent pendant que petit Zeus tête la chèvre Amalthée. La femme assise à gauche est probablement Némésis ou Crète. (Relief en marbre, partie de base, vers 160 apr. J.-C., Rome, Museo Capitolino.

Dans la grotte crétoise de l’Ida où, à en croire la légende, les Kourètes exécutaient leurs danses en armes, on a découvert des offrandes votives qui représentaient ces mythiques créatures divines. Il s’agit d’une série de tambours ou de boucliers de bronze datant de la fin du VIIIe siècle av. J.-C, où des figures divines ailées sont identifiées aux Kourètes (figure 2). Selon ces sources, sur le mont Ida, les Crétois célébraient par des cérémonies à mystères la naissance de Zeus mais également sa mort et sa renaissance, ce qui était une façon de jalonner par une série de fêtes le cycle de la vie.

La danse des Kourètes, directement liée donc au culte de la nature, s’est ensuite diffusée dans d’autres régions. On sait qu’il y avait dans le sanctuaire d’Artémis à Éphèse, des prêtres appelés Kourètes, dont la mission essentielle consistait à organiser des danses en armes, tout aussi bruyantes, et visant, à terme, à favoriser la renaissance de la nature. Cette pratique cultuelle était liée à Artémis, étroitement associée, elle aussi, à la germination et à la protection des bêtes sauvages.

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2. Scène mythologique représentant Zeus au centre flanqué des Kourètes qui font retentir leurs tambourins. (Tympanon en airain provenant de l'Idaion Antron (Grotte de l'Ida) en Crète, fin du VIIIe siècle av. J.-C., Hérakleion, Musée Archéologique)

 

2. Pyrrhique

Si l’on en croit la tradition, l’exécution de danses en armes aurait commencé dès l’Âge du Bronze dans la Crète minoenne, avec la danse mythique des Kourètes. Associée au culte de dieux, comme Zeus et Artémis, cette danse avait vraisemblablement sa place également dans l’éducation des guerriers. Dès le VIIe siècle av. J.-C., la pyrrhique est attestée à Sparte. Elle se rapproche beaucoup de la danse des Kourètes. Par leurs mouvements, les pyrrichistes imitaient la gestuelle des hoplites à l’heure du combat : ils viraient sur les côtés (έκνευσις/ekneusis), reculaient comme pour battre en retraite (ύπαξις/hypaxis), sautaient en l’air (εκπήδησις εν ύψει/ekpèdèsis en hypsei) et s’accroupissaient (ταπείνωσις/tapeinôsis). La pyrrhique était accompagnée du son de l’aulos ou de la lyre et d’un chant.

On ignore si le nom de cette danse dérive du mot πυρ/pyr, qui signifie « le feu » en grec ancien ou du nom du fils d’Achille, Pyrrhos. Si l’on se range à la première étymologie, le feu et sa couleur rouge renverraient à la fois à la cruauté de la guerre et au sang versé dans les batailles, et cette danse viserait donc à stimuler l’ardeur guerrière des soldats.

La pyrrhique constituait un élément essentiel des fêtes publiques des grandes cités. C’est à Sparte toutefois qu’elle connut la plus grande faveur : dès l’âge de cinq ans, en effet, tous les enfants y apprenaient cette danse, exécutée à la fête des Dioscures ainsi qu’aux Gymnopédies. Elle était même enseignée aux filles dans le cadre de l’enseignement de la gymnastique. À Athènes, dès le VIe siècle av. J.-C., la pyrrhique faisait partie de la fête des Panathénées. Selon la légende, lorsque Pallas Athéna jaillit toute armée de la tête de Zeus, elle agitait son bouclier et sa lance, en exécutant une danse en armes ; c’est par référence à cette danse divine que l’on dansait la pyrrhique pour la grande fête de la déesse, les Panathénées. Chacune des dix tribus athéniennes était représentée par une troupe de pyrrhichistes. De riches Athéniens, les chorèges, se chargeaient d’organiser ces groupes et de subvenir aux dépenses occasionnées par leur préparation (figure 3). Les prix étaient décernés par classes d’âges : hommes, éphèbes et jeunes garçons. De toute évidence, le rôle de la pyrrhique dans l’éducation des jeunes gens n’était pas le même à Sparte et à Athènes. Alors qu’à Sparte, elle faisait partie de l’entraînement militaire des jeunes gens, à Athènes, elle s’intégrait plutôt à l’éducation au sens large et était enseignée dans le cadre des cours de musique et de danse

Xénophon, dans son Anabase, mentionne l’exécution de cette danse guerrière par une femme, qui, de surcroît, l’exécuta avec grâce (« elle dansa la pyrrhique avec aisance ») sous les yeux émerveillés des Paphlagoniens. Même les peintures de vases attestent que la pyrrhique était dansée par des femmes. Selon des thèses récentes, la pyrrhique féminine se rattacherait à des rites initiatiques marquant le passage des fillettes à la maturité. Mais il existait également des danseuses professionnelles qui, coiffées de casques et armées de boucliers et d’épées, dansaient la pyrrhique avec lascivité.

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3. Danse des pyrrhichistes. La première figure représentée à gauche est celle du chorège. (Base de atatue consacrée par Atarbos, chorège, provenant de l’Acropole, vers 320 av. J.-C., Musée Archéologique de l’Acropole)

 

3. L’anapalé

On sait qu’il existait également à Sparte des danses gymniques guerrières, connues sous le nom d’αναπάλη/anapalé, et exécutées par des hommes sans leur équipement guerrier, à la fête des Gymnopédies. Au cours de ces danses, des garçons nus mimaient les gestes du combat et les postures des épreuves du pentathle, au son de l’aulos ou de la lyre. Cette danse privilégiait l’élément artistique, de manière à mettre en valeur la beauté des danseurs et leurs prouesses physiques.

 

4. Rondes

Dans la Crète minoenne, sont attestées des danses rituelles qui ont toutes pour point commun d’être des rondes. On sait que chez les peuples anciens, les danses en cercle, dans lesquelles on se tient par la main, ont une dimension initiatique très marquée. Elles s’exécutent en principe autour d’un autel, d’un arbre, d’un symbole sacré quelconque ou encore autour d’un instrumentiste. Ainsi, ces danses enferment dans leur cercle des choses ou des personnes et ont un caractère purificateur ou visent à éloigner l’influence de mauvais esprits.

On suppose que la danse féminine crétoise qui se dansait en rond évolua en une danse spécifique, au cours de laquelle les danseuses, se lâchant la main, commençaient peu à peu à tournoyer chacune sur elles-mêmes. Un pan de fresque qui ornait le palais de Cnossos illustre peut-être un échantillon d’une danse de ce type. Elle représente une danseuse, dont le mouvement est rendu de façon schématique : elle lève son bras gauche fléchi au niveau du coude à la hauteur de sa poitrine et referme légèrement son bras droit tendu. Ses longs cheveux ondulés semblent flotter de part et d’autre de son visage, dessinant un demi-cercle. L’artiste a très certainement voulu suggérer la rapidité avec laquelle évolue la danseuse, faisant tournoyer sa chevelure autour de sa tête (figure 4).

Manifestement, les Crétois croyaient que la grande divinité associée à la germination et à la fertilité qu’ils vénéraient pouvait être fléchie par des prières et des offrandes, mais également par des danses cultuelles : constituant une sorte de médiation, ces danses étaient censées lui permettre d’apparaître devant ses fidèles, autrement dit de descendre sur terre et d’accomplir son œuvre (ce qu’on appelle l’Épiphaneia).

Une effigie en terre cuite, découverte à Palaikastro, en Crète, et datant de la fin de l’Âge du Bronze, représente trois femmes dansant une ronde ouverte autour d’une femme musicienne qui les accompagne à la lyre ou à la cithare (figure 5). Au sein de ce groupe de Palaikastro, les femmes, figurées les bras tendus mais se touchant à peine, donnent l’impression de danser chacune pour soi.

Une autre ronde, exécutée exclusivement par des hommes, est représentée sur une autre effigie en terre cuite, provenant de la tombe à tholos de Kamilari, en Crète (figure 6). Elle figure une ronde fermée, dans laquelle les danseurs se tiennent par les épaules. On peut penser que cette danse faisait partie des cérémonies accompagnant les morts (rites funéraires), puisque l’effigie a été trouvée dans une tombe, ceinte d’un péribole circulaire relativement bas, identique à celui qui figure sur la représentation.

Les trouvailles archéologiques livrées par la Crète suggèrent l’existence d’autres danses rituelles, comme celles au cours desquelles les fidèles enlaçaient de leurs bras une pierre (bétyle) et secouaient un arbre sacré, dans l’espoir de voir la divinité de la fécondité apparaître devant eux.

A l’époque historique sont également attestées des rondes comme le dithyrambe, sur lequel nous reviendrons en détail.

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4. « Danseuse » qui tournoie, vraisemblablement dans une ronde. (Fragment de fresque provenant du palais de la reine à Knossos, vers 1450 av. J.-C., Hérakleion, Musée Archéologique)
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5. Danse féminine ouverte en rond. (Groupe de figurines en terre cuite, provenant de Palaikastro, Crète, 1420- 1380 av. J.-C., Hérakleion, Musée Archéologique)
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6. Ronde masculine fermée. (Groupe en terre cuite, provenant de la tombe à tholos de Kamilari en Crète, 1700-1580 av. J.-C., Hérakleion, Musée Archéologique)

 

5. Géranos

Le géranos compte parmi les plus célèbres des danses « mixtes » (αναμίξ/anamix = exécutées par des hommes et des femmes mélangés), à Délos, l’île sacrée d’Apollon. On le dansait en l’honneur d’Apollon et de la déesse Artémis, les deux protecteurs de l’île.

Cette danse se rattache à la légende de Thésée qui quitta Athènes et fit voile jusqu’en Crète, pour tuer le Minotaure, exploit qu’il réussit grâce à l’aide d’Ariane, fille du roi Minos. Ariane tomba amoureuse de Thésée et repartit avec lui pour Athènes, en compagnie des jeunes gens et des jeunes filles, qui devaient être sacrifiés au Minotaure. Ils firent escale dans l’île sacrée de Délos. Là, Thésée, après avoir fiché en terre l’énorme statue de bois (ξόανον/xoanon) d’Aphrodite qu’Ariane avait apportée de Crète avec elle, commença à exécuter avec ses compagnons une danse en l’honneur d’Apollon.

Le géranos, danse rituelle et sacrée se dansait la nuit, à la lueur de torches. Selon les descriptions livrées par certains textes anciens, il était exécuté par des danseurs en ligne, qui se tenaient par la main, chaque ligne étant menée par son chef. Un magnifique vase à figures noires, le « Vase François » illustre à merveille cette danse. On y voit quatorze jeunes gens et jeunes filles, les mains jointes, entraînés dans cette farandole par Ariane et Thésée qui l’accompagne sur sa lyre. (figure 7).

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7. Thésée et ses compagnons dansant la geranos. (Cratère attique à volutes, à figures noires dit « Vase François », 570-565 av. J.-C., Florence, Museo Archeologico Etrusco)

Cette farandole qui donnait lieu à une succession de mouvements ondulatoires complexes était censée imiter les méandres du labyrinthe mythique qu’habitait le Minotaure, ou les ondulations du vol des grues dans le ciel, ou encore le mouvement rampant d’un reptile auquel se rattache une symbolique chtonienne. Ces deux dernières interprétations font appel à deux étymologies différentes pour expliquer le nom de la danse: la racine -ger, qui rend l’idée d’un enroulement, ou le substantif γερανός/géranos qui, en grec ancien, désigne la grue.

 

6. Danses à καλαθίσκος/kalathiskos

Certaines danses en l’honneur de divinités de la fécondité, comme Artémis Karyatis, Apollon Carneios, Déméter et Athéna, présentaient la particularité d’être exécutées avec une petite corbeille (καλαθίσκος/kalathiskos) que danseurs et danseuses portaient en général sur la tête.

La plus connue était la danse des Caryatides, exécutée chaque année, lors de la fête en l’honneur d’Artémis Karyatis, à Karyai (Laconie). Initialement, seules des jeunes filles vierges originaires de cette localité y prenaient part, mais plus tard, les filles des meilleures familles de toute la Laconie y furent admises. Artémis était adorée à Karyai, probablement en tant que déesse de la nature et de la fertilité, comme le suggère son lien avec Dionysos ; en effet, selon la légende, le dieu serait tombé amoureux de la prêtresse d’Artémis, Karya. On raconte que cette danse des vierges était d’une telle beauté qu’elle inspira de nombreux artistes (figure 8).

Aux Carneia, la grande fête annuelle des Doriens, célébrée à la fin de l’été, initialement en l’honneur de la divinité locale Carneios, puis plus tard, en l’honneur d’Apollon, des jeunes gens et des jeunes filles exécutaient une variante de cette danse du kalathiskos.

Les représentations qui ont été conservées de ces deux danses déjà décrites révèlent un certain nombre de similitudes dans les mouvements des danseurs. Les filles portent des vêtements courts et légers, qui, bien souvent, laissent voir leurs beaux corps juvéniles. Les pas des danseuses semblent gracieux, rapides et exécutés sur la pointe, ce qui leur permet de tournoyer sur elles-mêmes.

Le kalathiskos était une sorte de couronne constituée de feuilles aux extrémités pointues, souvent des feuilles d’acanthe, entrecroisées. Les danseuses portaient probablement aussi sur la tête de grandes corbeilles. À l’intérieur de la couronne et des corbeilles, elles transportaient selon toute vraisemblance des ustensiles sacrés.

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8. Les danseuses connues sous le nom de Caryatides. Colonne de Delphes. (vers 330 av. J.-C., Delphes, Musée Archéologique)

 

7. La danse des Ourses

Dans les sanctuaires d’Artémis, à Brauron et à Mounichia en Attique, on célébrait les Arktéia, une fête à laquelle prenaient part des fillettes de 5 à 10 ans. On suppose que dans ces sanctuaires, la divinité était initialement adorée sous les traits d’une bête sauvage, une ourse ( άρκτος/arktos) de toute évidence, et fut plus tard identifiée à la protectrice des bêtes sauvages, la déesse Artémis. Est-ce pour cette raison que les petites filles qui participaient à la fête étaient appelées les Ourses (Arktoi)  (figure 9)

Au cours de la célébration, les Arktoi, portant un vêtement de couleur jaune, exécutaient une sorte de danse collective. Des processions et des danses sont souvent représentées sur des vases consacrés comme offrandes et mis au jour dans les sanctuaires d’Artémis. Sur l’un d’eux, un fragment d’amphore à figures rouges, de la fin du Ve ou du début du IVe siècle av. J.-C., découvert à Brauron, deux Arktoi à καλαθίσκος/kalathiskos sont figurées en train de danser. Ce qui atteste que ce type de danses avait également sa place aux Arktéia.

Cette fête se caractérisait par des rites de passage qui symbolisaient, notamment pour les plus âgées d’entre les Arktoi, présentant les premiers signes de la puberté, la fin de l’enfance et le passage au premier stade de l’âge adulte.

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9. Fillette consacrée à Artémis (Arktos), tenant un lièvre. (Statue en marbre provenant du sanctuaire de la déesse à Brauron, fin du IVe siècle av. J.-C., Brauron, Musée Archéologique)

 

8. Parthénies

Les danses féminines les plus célèbres, exécutées surtout dans les villes doriennes, lors des fêtes célébrées en l’honneur de diverses divinités associées à la floraison, étaient les danses virginales appelées Parthénies. C’est surtout à partir du VIIe siècle av. J.-C. que les Parthénies se développèrent dans le monde grec. Dans des représentations de ces danses; on voit des jeunes filles, tantôt se tenant par la main, tantôt isolées, qui brandissent des étoffes légères ou des mouchoirs. Les jeunes filles sont souvent vêtues d’un himation délicatement ouvragé et richement décoré qui, par le jeu des plissés, contribue largement au charme et à la grâce de ces danses (figure10).

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10. Des jeunes filles dansent la Parthénie. (Cratère attique à figures rouges en forme de calice, du Peintre de la Villa Giulia, Ve siècle av. J.-C., Rome, Museo Nazionale Etrusco di Villa Giulia)

 

9. Danse de l’himation

Une autre variété de danses étaient exécutée par des femmes, dont tout le corps, voire parfois le visage, était voilé par un himation. On ignore s’il s’agissait de danses de la vie quotidienne ou de l’imitation de danses que l’imagination populaire attribuait à des divinités. Peut- être les figurines représentant des femmes ainsi voilées font-elles tout simplement allusion à la pudeur caractéristique des femmes qui participaient aux danses en général, ou encore au fait que la plupart des fêtes prenaient place l’hiver (figure 11).

 

10. Péan

Parmi les danses processionnelles, de caractère rituel, par lesquelles on honorait diverses divinités, figurait le péan sacré, exécuté au son de la lyre ou de l’aulos. Il était dansé dans le monde helladique, associé notamment au culte d’Apollon et prenant alors la forme d’une supplication rituelle en période d’épidémies ou de troubles, d’une invocation avant les batailles ou autres entreprises importantes, ou encore à l’occasion de fêtes célébrant une victoire ou de cortèges extériorisant la joie.

Le péan évolua au gré des circonstances et, de cortège rituel, il se transforma en une danse toujours accompagnée d’un chant. Il jouait un rôle important lors des fêtes des Hyacinthies et des Gymnopédies à Sparte. Aux Gymnopédies, il était dansé par trois groupes : un groupe de garçons, un d’adultes et un d’hommes âgés.

 

11. Kallinikos

Le kallinikos, danse célébrant la victoire, était initialement destiné à honorer Héraclès mais on l’exécutait parfois en l’honneur d’autres héros ou divinités, à l’occasion d’une victoire athlétique ou militaire ou encore d’un quelconque triomphe. Il était dansé tantôt uniquement par des hommes, tantôt par des femmes, tantôt encore par des hommes et des femmes côte à côte. Il se dansait en ligne, en formation circulaire ou rectangulaire. Il pouvait être de courte durée ou, à l’inverse, se prolonger pendant toute une nuit.

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11. Danseuse couverte d’une tunique et d’un manteau court. (Figurine de terre cuite du cimetière Est provenant de Thessalonique, deuxième quart du IIIe siècle av. J.-C., Thessalonique, Musée Archéologique)

 

12. Danses « travesties »

Il existait une variante particulière du kallinikos, dans laquelle les danseurs se déguisaient en femmes. Ce n’est du reste pas la seule danse « travestie » dont nous ayons connaissance. À Athènes, en effet, lors des Oschophories, célébrées en l’honneur de Dionysos, d’Athéna et de la mémoire de Thésée, deux éphèbes appartenant aux meilleures familles, habillés en femmes, conduisaient des groupes de danseurs qui chantaient et tenaient à la main des ceps de vigne garnis de feuilles et de grappes de raisin. Ici, on peut voir dans cette mascarade une volonté de rendre hommage à Thésée. En effet, si l’on en croit la légende, lorsqu’il arriva en Crète avec les jeunes gens et les jeunes filles tirés au sort pour être sacrifiés par le roi de Crète, le héros déguisa deux jeunes gens en filles afin qu’ils l’aident à tuer le Minotaure. Et ce stratagème ayant permis à Thésée de sortir victorieux du combat, les danses des Oschophories sont considérées comme des danses de la victoire.

 

Dans la Crète minoenne, il est vraisemblable qu’existaient des rites consacrés à la déesse de la fécondité qui se terminaient pas des danses qui menaient à la transe, et ce point les différenciait des autres danses à caractère religieux. Pendant la durée de ces danses, les danseurs étaient possédé(e)s d’une folie divine et prononçaient vraisemblablement des phrases incohérentes, qui pouvaient être considérées comme des prophéties divines.

A l’époque mycénienne, la légende a conservé plusieurs histoires de danses allant jusqu’au transport extatique, comme l’histoire des filles de Proétos, roi de Tirynthe. Lorsque les trois Proétides atteignirent l’âge du mariage, elles devinrent folles et commencèrent à courir par toute l’Argolide et le Péloponnèse, se livrant à des danses orgiaques, chantant des chansons étranges et déchirant leurs vêtements. Ce comportement, semblable à celui des Bacchantes, comme nous le verrons par la suite, a donné naissance au mythe selon lequel Dionysos était celui qui les avait rendues folles, parce qu’elles avaient refusé d’embrasser son culte. Une branche de la légende ajoute que lorsque les jeunes gens d’Argos les pourchassaient dans les montagnes pour les ramener, ils se livraient eux aussi à des danses violentes.

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12. Ménade exécutant une danse extatique. De sa main droite, elle tient le thyrse, de la gauche, un léopard. Dans les cheveux, elle porte un serpent en guise de bandeau et sur les épaules, au-dessus du chiton « une peau de panthère ». (Intérieur d ‘une kylix à fond blanc, 490-485 av. J.-C., Munich, Staatliche Antikensammlungen)

 

13. Danses dionysiaques

Les plus célèbres des danses mystiques extatiques sont associées au dieu Dionysos ou Bacchus. Les célébrations dans lesquelles elles s’inscrivaient et qui avaient lieu la nuit n’étaient intelligibles que des seuls initiés. Elles ne prenaient pas place dans un sanctuaire fixe, comme c’était le cas des fêtes officielles, les Grandes Dionysies par exemple, sur lesquelles nous reviendrons, mais étaient célébrées par des prêtres itinérants. Les initiés, qui comptaient aussi bien des hommes que des femmes, portaient le nom de Bacchants et Bacchantes ou Ménades (figure 11).

On a longtemps considéré que les mystères dionysiaques étaient originaires de Thrace et de Phrygie et s’étaient diffusés par la suite dans l’ensemble du monde grec. Toutefois, la découverte dans le palais de Pylos d’une tablette mycénienne, mentionnant le nom du dieu Dionysos, suggère que le culte du dieu en Grèce remonte probablement à l’époque mycénienne et infirme la thèse selon laquelle il se serait diffusé de Thrace en Grèce, après la fin du monde mycénien.

Il existe une autre danse liée au culte dionysiaque : l’oribasie. Il s’agit d’une procession bruyante qui prenait place dans les montagnes et les forêts, au milieu de l’hiver, pendant la nuit. Elle était exécutée par des femmes qui poussaient des cris, agitant sauvagement leurs cheveux hérissés, et brandissaient des thyrses, c’est-à-dire des bâtons entourés de lierre et de pampres et couronnés par une pomme de pin fixée au sommet. Elles jouaient de l’aulos ou du tympanon (tambourin) et portaient souvent sur les épaules des peaux de faons ou de panthères, animaux qui peuplaient alors les forêts. Sur certaines représentations, leurs mains disparaissent dans les plis de leurs vêtements et ressemblent à des ailes d’oiseaux, lorsqu’elles les lèvent pour exécuter la danse bachique (figure 12).

 

14. Danses extatiques en l’honneur d’autres dieux

On exécutait aussi des danses mystiques extatiques en l’honneur de nombreux autres dieux, comme Déméter, Artémis, Hécate, Pan, Aphrodite et probablement Cybèle (figure 13). Les danses extatiques avaient également leur place dans maintes célébrations en l’honneur de Déméter et de Perséphone, telles que les Anthéstéries, une fête liée à la floraison printanière, les Thesmophories, où les femmes honoraient la déesse de l’agriculture, et aux Mystères d’Éleusis. Un mystère absolu a toujours entouré ces célébrations, aussi bien chez les Grecs que chez les Romains, et on sait seulement que les danses nocturnes étaient exécutées avec des torches allumées.

Les Mystères Orphiques, célébrés en l’honneur du musicien Orphée par des initiés qui espéraient une vie meilleure dans l’autre monde, comportaient eux aussi des danses. Les célébrations des mystères orphiques étaient liées à celles de Dionysos et de Perséphone et, comme celles-ci, comportaient des danses orgiaques, durant lesquelles on disait que les initiés consommaient de la viande crue d’animaux, dans une sorte de communion avec la divinité pourvoyeuse de vie.

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13. Fête dionysiaque. Au centre est représentée l’effigie de Dionysos et, devant lui, sur une table sacrée, des douceurs (« popana »), rehaussées à l’aide d’une couleur blanche. Il est encadré de Ménades en extase. (Cruche attique à figures rouges du Peintre de Dinos, vers 420 av. J.-C., Naples, Museo Archeologico Nazionale)
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14. Sur la face antérieure du vase sont vraisemblablement figurés les dieux Savazios et Cybèle. Sur la face postérieure, une danse extatique (cf. détail). (Cratère attique à volutes, du groupe de Polygnotos, vers 440 av. J.-C., Ferrare, Museo Archeologico Nazionale di Spina)
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15. Dithyrambe

Le dithyrambe était chanté et dansé par un chœur d’hommes en rond accompagné à l’aulos double, en l’honneur de Dionysos. Quant à la danse dithyrambique, elle était appelée par les Grecs τυρβασία/turbasia, dérivé du substantif τύρβη/turbè qui signifie confusion et tumulte (cf. latin : turba). Et de fait, les premières danses dithyrambiques se signalaient par des mouvements très vifs, voire frénétiques, et largement improvisés.

On raconte qu’au début du VIe siècle av. J.-C., le poète Arion, originaire de Méthymna, dans l’île de Lesbos, qui avait travaillé à la cour de Périandre, tyran de Corinthe, donna au dithyrambe sa forme littéraire, l’érigeant en un genre poétique propre, qui faisait une large place au récit de mythes, pas nécessairement dionysiaques du reste. Le fait qu’Arion habillait ses danseurs en satyres souligne l’importance que revêtait à ses yeux la dimension de mime. Les dithyrambes d’Arion étaient interprétés par un chœur de cinquante hommes, entraînés par le poète lui-même. Ce chœur chantait, accompagné à la cithare et exécutait des pas de danse autour de l’autel de Dionysos.

Avec l’apparition de la tragédie, le dithyrambe devint également un spectacle grandiose. À partir de 508 av. J.-C., il fit partie intégrante de la fête des Grandes Dionysies ou Dionysies urbaines à Athènes, la plus imposante des célébrations athéniennes en l’honneur du dieu. D’après les témoignages épigraphiques conservés, on suppose que chacune des dix tribus de l’Attique apportait sa contribution au dithyrambe sous la forme d’un chœur d’hommes et d’un chœur de jeunes gens. (figure 15).

Le dithyrambe était représenté à date fixe dans le théâtre de Dionysos, sur le flanc sud-est de l’Acropole d’Athènes. La manière dont il était exécuté ne nous est qu’imparfaitement connue. On supposer qu’une fois donné le signal du départ, les danseurs s’avançaient vers l’orchestra, sur une seule rangée. Ils dansaient en rond autour de l’autel, en chantant et en gesticulant. Lorsque les dix chœurs s’étaient ainsi produits, le jury décidait quelle tribu avait présenté le meilleur dithyrambe. Le chorège recevait pour prix un trépied, et un festin grandiose attendait les membres du chœur, le poète, le chorège, le répétiteur et le musicien.

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15. Trois satyres qui sont vraisemblablement des danseurs de dithyrambe déguisés. Ils dansent, chantent et jouent de la cithare. L’inscription où l’on distingue le mot « Panathénées » suggère que la représentation fut donnée lors de la grande fête athénienne. (Cratère attique à figures rouges de Polion, 2e moitié du Ve siècle av. J.-C., New York, The Metropolitan Museum of Art)


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