Que les danses commencent...
Petit manuel sur la danse dans le Grèce ancienne
La notion de danse était dans la Grèce antique beaucoup plus
complexe que pour nous aujourd’hui. Musique, poésie et danse formaient
une entité indissociable, appelée la
« musique », au sens large du terme, autrement dit l’Art
des Muses.
La conception particulière qu’avaient les Grecs de la danse se
reflète dans les différents termes usités en grec ancien
pour désigner les diverses formes qu’elle était susceptible de
revêtir. Ainsi, le verbe
χορεύω/choreuô
s’applique avant tout à un groupe qui chante tout en esquissant quelques
mouvements très simples. Le verbe
ορχούμαι/orchoumai
et le substantif de même famille
όρχησις/orchèsis
désignent en revanche exclusivement l’art de la danse ou orchestique.
De nombreux auteurs anciens furent, semble-t-il, très sensibles au
charme de la danse et les textes nous livrent une multitude de
témoignages sur les formes que prenait cet art dans la Grèce
antique. S’y ajoutent de remarquables vestiges archéologiques qui nous
aident à nous faire une idée plus complète de la danse
dans l’antiquité.
Dans les Lois, Platon considérait que,
parallèlement au rythme qui détermine les mouvements du corps
humain, l’harmonie est un facteur indispensable à la danse, car
c’est elle qui génère la grâce. Quant à Lucien, dans
son Dialogue de la Danse , il parle de la danse comme d’un art
harmonieux par excellence
(παναρμόνιος/panharmonios),
qui touche l’âme et exerce le corps.
Plutarque, qui développe une véritable
théorie de la danse, énumère les trois parties qui la
composent :
φόρα/phora, les mouvements,
σχήμα/schèma,
les positions, et
δείξις/deixis,
l’exécution. La danse débute toujours par la
φόρα/phora,
autrement dit les mouvements, qui éveilleront le corps de son
immobilité et lui donneront rythme et grâce. Mais ces mouvements
aboutissent à une posture ou position :
σχήμα/schèma,
schéma corporel pourrait-on dire. La danse, dans cette vision analytique,
est donc constituée par les mouvements qui se décomposent en
positions. La
δείξις/deixis
ou exécution désigne la manière dont la danse peut
traduire, symboliser des personnages et des situations.
Mais quand et pourquoi l’homme a-t-il commencé à danser ?
La littérature grecque antique offre une foule de réponses
intéressantes à cette question. Lucien explique que l’homme a
voulu imiter la danse des astres, c’est-à-dire les conjonctions des
étoiles et des planètes, l’eurythmie de leurs mouvements, ce qui
l’a conduit à exécuter sa première danse. Pour Platon, la
danse a son origine dans une tendance naturelle, commune à tous les
êtres vivants, de s’exprimer à travers le mouvement. Mais, à
ses yeux, la danse ne saurait avoir qu’une origine divine : l’homme a
d’abord vu danser les dieux et c’est d’eux qu’il a reçu le sentiment de
la joie, celui du rythme et de l’harmonie. C’est ainsi que les dieux font bouger
l’homme et guident ses danses et ses chants. Les trois Muses associées
à la danse attestent elles aussi l’idée d’une origine divine de la
danse : Uranie, muse de l’astronomie passe pour être aussi la
patronne de la danse, attribution qu’elle partage avec Polymnie et
Therspsichore, dont le nom signifie littéralement « celle que
la danse réjouit ».
Les mythes des Grecs font résonner jusqu’à nos jours
l’écho de la musique et de la danse. Ils expriment l’amour de ces hommes
pour ces arts combinés, la place qu’ils occupent dans leur vie et leur
besoin d’en situer les racines dans le monde des dieux dès son origine,
à l’époque symbolique de la théogonie. C’est ainsi que
Rhéa, l’épouse de Kronos, soucieuse de protéger leur
dernier-né, Zeus, de la folie de son père qui avalait ses enfants
de peur d’être détrôné, décida, avec l’aide de
ses parents Ouranos et Gaïa de mettre au monde son fils en secret dans une
caverne d’une montagne de Crète, le mont Ida, ou Diktè. Pour
couvrir les pleurs du bébé, Rhéa demanda aux
Kourètes de se livrer à une danse bruyante, où ils
frappaient leur bouclier de leur épée, tout en poussant des cris
de guerre. Le mythe ajoute que ces Kourètes devinrent par la suite
prêtres de Zeus, et que leurs descendants et eux continuèrent
à travers les siècles ces danses qui devinrent le noyau des
cérémonies religieuses.
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