Chapitre 3

La musique dans la vie privée des Grecs anciens

Dans l’Antiquité, la musique et les chants étaient présents à tous les instants de la vie, les plus solennels, comme les plus quotidiens. Compagnons dans la joie, les réjouissances, le deuil ou le travail...

La musique, compagne de la joie des noces

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Cérémonie de la parure de la mariée : la mariée joue de la harpe, assise entre ses amies qui disposent sa dot. Vase à figures rouges du « peintre du bain ». Date vers 430 av. J.-C. - New York, Metropolitan Museum.

Dans la Grèce antique, comme dans la Grèce moderne, on ne concevait pas de mariage sans musique, chants et danse. C’est au son de la musique que le rituel de la loutrophorie se déroulait, autrement dit le transport d’eau d’une source sacrée ou d’une rivière pour le bain des futurs mariés. Musique et chants accompagnaient également les préparatifs de la mariée. Le jour du mariage, les amies de la mariée se rassemblaient dans le gynécée et, pendant tout le temps où l’on parait la jeune épousée, elles jouaient de la musique et chantaient, tantôt des chants joyeux qui vantaient les vertus de la jeune fille et les joies de l’amour, tantôt des chants mélancoliques évoquant la séparation de la jeune mariée d’avec sa famille et ses amies.

La partie centrale du rituel, la « conduite » de la mariée de la maison de son père à celle de son époux, se faisait elle aussi avec un accompagnement musical. Dans un passage de l’Iliade, nous lisons la description d’un cortège nuptial :

« Des épousées au sortir de leur chambre sont menées par la ville
à la clarté des torches et sur leurs pas s’élève, innombrable, le chant d’hyménée.
De jeunes danseurs tournent et, au milieu d’eux, flûtes et cithares
font entendre leurs accents et les femmes s’émerveillent chacune devant sa porte. »

(Iliade, chant XVIII, 491-495, traduction « Les Belles Lettres »)

Au moment où la jeune mariée quittait sa maison, ses amies et sa famille, brandissant des torches allumées, lui chantaient l’hyménée, un chant de mariage joyeux, au son d’auloï, de lyres, de crotales, et d’autres instruments :

« Hyménée ! levez haut la porte de la maison
vous les maçons, hyménée !
Un marié semblable à Arès entre, hyménée,
plus haut de taille que l’homme le plus corpulent. »

(Sappho, Pièce 111, traduction libre)

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Cortège nuptial : un couple de jeunes mariés monte sur un char. Cratère corinthien. Début du VIe siècle av. J.-C. - Rome, Musée du Vatican.

Le cortège, formé par les jeunes mariés, les invités qui dansaient et chantaient et les musiciens, traversait les rues de la cité et arrivait jusqu'à la maison du marié. Là, le couple se retirait dans la chambre nuptiale (thalamos), tandis que les amies célibataires de la mariée, debout derrière la porte fermée, entonnaient l’épithalame, vantant les vertus du couple.

La musique, compagne des réjouissances

« Tant que tu es en vie, sois resplendissant
garde-toi des tourments
la vie est courte
et le temps veut en finir. »

(Scolion ou chanson de table, figurant sur la stèle de Seicilos. Traduction libre)

Les banquets, l’une des distractions favorites des Grecs anciens, étaient par excellence une affaire d’hommes puisque les dames n’y étaient pas admises. Les seules femmes autorisées à prendre part aux banquets athéniens étaient les hétaïres, les joueuses d’aulos et les danseuses que le maître de maison invitait pour distraire ses hôtes.

Dès que le dîner était fini, les convives faisaient des libations aux dieux et le banquet proprement dit commençait par un péan entonné par tous les convives. Ensuite, le maître de maison présentait un rameau de laurier ou de myrte à un des convives, l’invitant ainsi à chanter ou à déclamer quelque chose. Le rameau passait de main en main, offrant à tous les assistants l’occasion de faire une petite démonstration de leur éducation musicale. Un aulète professionnel accompagnait les chanteurs, mais certains avaient suffisamment de connaissances musicales et de talent pour s’accompagner eux- mêmes à la lyre ou à la harpe.

Les chansons que l’on entendait à l’occasion d’un banquet étaient variées. Les hymnes lyriques et élégiaques des poètes « classiques » étaient particulièrement appréciés : ceux de Théognis, d’Alcée, d’Anacréon, de Simonide, de Pindare mais également des chœurs des tragédies qui étaient devenus des succès dans tout le monde grec.

À Athènes, le banquet était une occasion de réjouissances y compris pour les membres de la maisonnée qui, du fait de leur âge et de leur sexe, en étaient exclus. Femmes et enfants, gagnés par l’atmosphère de fête qui régnait dans la maison, s’amusaient dans le gynécée ; les femmes chantaient et jouaient de la musique. Et lorsque ses convives s’étaient un peu lassés, il n’était pas rare que le maître de maison envoie dans le gynécée la joueuse d’aulos qu’il avait engagée afin qu’elle joue pour les femmes de la maison.

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Scène de banquet : elle figure trois jeunes convives qui s’amusent avec des hétaïres. Au milieu, on distingue Smicros, le peintre du vase lui-même, qui écoute avec délices la musique de la joueuse d’aulos, Eliké. Vase à figures rouges. Date vers 515-510 av. J.-C. - Bruxelles, Musées Royaux d’Art et d’Histoire.

La musique, compagne dans le deuil

La musique et le chant, compagnons des Grecs anciens dans tous les moments importants de la vie, ne sauraient être absents du dernier acte de l’existence : les funérailles. Le cérémonial des funérailles en Grèce ancienne se déroulait en trois étapes : la prothesis (ou exposition), l’ekphora (ou convoi funèbre) et enfin l’inhumation. Au cours de l’exposition, on étendait sur un lit le mort, paré de ses plus beaux vêtements, couronné de fleurs et on chantait :

« Ils ramènent la dépouille dans sa noble demeure ; ils l’y déposent
sur un lit ajouré ; à ses côtés, ils placent des chanteurs
experts à entonner le thrène qu’ils chantent eux-mêmes en accents plaintifs
tandis que les femmes leur répondent par des sanglots ».

(Iliade, Chant XXIV, vers 720-723, traduction « Les Belles Lettres »)

Les vers homériques qui décrivent la prothésis d’Hector établissent une distinction entre les thrènodoi (pleureuses à gages) et les femmes apparentées au défunt qui pleuraient le héros. Les pleureuses professionnelles chantaient, contre rémunération, des hymnes funèbres et leur participation aux enterrements conférait un certain prestige à la famille.

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Pendant l’ekphora, des chants de deuil et la musique des auloï accompagnaient le mort jusque dans sa dernière demeure. Souvent, les enterrements donnaient lieu à une telle ostentation et à de tels débordements que les législateurs furent obligés d’instituer des lois interdisant les chants de deuil « élaborés» ou même d’imposer le silence lors du cortège funèbre.

Scène d’enterrement. La morte, parée d’une couronne, est étendue sur le lit funéraire. Auprès d’elle, une femme, échevelée, la pleure. Une autre femme, âgée, les cheveux coupés en signe de deuil, lui prodigue les derniers soins. Détail d’un vase à figures rouges. Ve siècle av. J.-C.- Athènes, Musée Archéologique National.

La musique, compagne du labeur

La peine, la fatigue et la monotonie du travail devenaient plus légères grâce au chant. Les femmes avaient l’habitude de chanter en moulant les céréales, en pilant les graines dans le mortier, en tissant sur le métier. Les bergers chantaient et jouaient de la flûte de Pan pour égayer leur solitude.

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Un joueur d’aulos donne la cadence aux femmes qui pétrissent le pain dans une boulangerie. Groupe de figurines en terre cuite. Ve siècle av. J.-C. - Athènes, Musée Archéologique National.

La musique et le chant imprimaient la cadence des travaux qui exigeaient des gestes répétitifs ou une certaine coordination des mouvements. Un joueur d’aulos accompagnait le travail des moissonneurs. Et eux- mêmes, en travaillant sur l’aire à battre, chantaient un chant de moisson traditionnel, appelé le Lityersès. La vendange avait elle aussi ses chants propres. Tel le Linos que chantaient les vendangeurs, tout en transportant en un joyeux cortège les paniers de raisins ou encore d’autres chants qu’ils entonnaient lorsqu’ils foulaient les grappes, au son de l’aulos.

Rythme et exercice

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Entraînement d’athlètes dans le gymnase. Un joueur d’aulos, vêtu d’un long chiton, donne la cadence au lanceur de javelot. Un second joueur de flûte joue devant un discobole qui semble se concentrer au son de l’aulos avant le lancer du disque. Vase à figures rouges. Vers 520.- Berlin, Antikenmuseum.

La musique des auloï était la plus adaptée pour donner le rythme aux jeunes gens qui s’entraînaient dans le gymnase ainsi qu’aux athlètes qui prenaient part aux jeux. Les exercices gymniques et les épreuves comme le saut, le lancer du javelot, du disque, la boxe mais également la lutte se déroulaient au son de l’aulos.

Chansons enfantines

La musique et le chant n’étaient pas uniquement l’affaire des adultes mais concernaient aussi les enfants. Encore bébés, ceux-ci s’initiaient à la magie de la musique, en écoutant les berceuses que leurs mères et leurs nourrices (trophoi) leur chantaient. En grandissant dans le gynécée, ils entendaient souvent les femmes de la famille jouer d’un instrument de musique ou chanter tout en vaquant à leurs tâches. Eux- mêmes apprenaient les premières chansons enfantines qui accompagnaient les jeux.

Dans de nombreuses régions de Grèce, à certaines dates de l’année, les enfants allaient de maison en maison en chantant des chansons comme aujjourd’hui encore ils chantent des Noëls, recevant en échange des cadeaux et des friandises.

A Athènes, lors de la fête des Pyanepsia, les enfants chantaient l’ eirésioné, en promenant une branche d’olivier ou de laurier, appelée elle aussi eirésioné, décorée de rubans de laine et chargée de fruits de toutes sortes.

« L’eirésioné porte des figues, des pains gras,
un petit pot de miel, de l’huile pour s’en oindre,
la coupe de vin qui l’enivre et l’endort. »

(Plutarque, Thésée, 22)

 

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