Index MEDÉE


le prix de la connaissance





Ce n'est pas d'aujourd'hui, mais souvent, Créon, que mon renom m'a nui et m'a fait bien du mal. Jamais l'homme que la nature a doué de sens ne devrait faire donner à ses enfants un savoir qui passe l'ordinaire. Outre un renom d'oisiveté, ils y gagnent l'envie malveillante de leurs concitoyens. Apportes-tu aux ignorants un savoir nouveau, tu feras figure d'inutile et non de savant ; si d'autre part on te juge supérieur à ceux qui passent pour esprits fertiles, dans l a cité tu paraîtras à charge. Moi aussi j'ai ce sort en partage. Mon habileté me rend odieuse aux uns, d'autres me jugent inactive, d'autres me prêtent le caractère opposé, à d'autres je semble hostile.

Euripide,Médée, 292-305

Fille d'Eetès, fils du soleil, et d'Eydia, fille d'Océan, Médée est une déesse ancienne. Son nom, étymologiquement lié à Mètis, mot lui-même dérivé du verbe mèdomai, qui signifie réfléchir, méditer, inventer, tramer, machiner, travailler, préparer, s'occuper de, définit ce qu'elle est. Des tablettes de l'époque mycénienne font référence à une déesse du nom de I-PI-ME-DE-IA, nom qui, si la lecture du linéaire B est correcte, peut se transcrire Iphimédéia, et signifie Médée au degré superlatif, alors qu'à Corinthe, le culte relatif à Médée survit jusqu'à l'époque historique. Déesse de l'intelligence et du bon conseil, Médée doit abandonner son pays pour suivre un mortel. Jason, aimé des dieux, armé de la magie de l'amour que lui a enseignée Aphrodite elle-même, gagne son coeur afin de s'assurer son aide ; la nef Argo, le premier navire, emporte Médée chez les humains.

Description Sage prophétesse et sorcière, elle se montre assistance précieuse et compagne fidèle, écartant les obstacles et sauvant fréquemment les Argonautes d'un désastre assuré. Seule des figures féminines de la mythologie grecque, elle joue un rôle majeur dans bien des aventures et constitue une source d'inspiration pour les artistes et les poètes, qui l'ont décrite, à l'inverse des autres héroïnes, comme un sujet actif et non comme un objet passif.

L'épopée chante les miracles de Médée qui sut rendre Jason à la vie et rendre la jeunesse au vieil Eson en les faisant bouillir dans son chaudron d'or avec des herbes merveilleuses. Les artistes antiques, avec une sincère admiration mêlée de crainte respectueuse, ont représenté la magicienne auprès du trépied supportant le chaudron d'où jaillit plein de vie le ressuscité d'entre les morts.

Cependant, si détestables qu'elles soient, la mort et la vieillesse sont une loi de la nature. Les retarder constitue un bouleversement de l'ordre cosmique, donc une pratique anarchique et en tant que telle, dangereuse. Avec l'influence croissante du rationalisme, la figure de Médée, dont l'essence s'oppose aux idées dominantes, n'en voit que plus s'accroître son côté obscur. La légende ancienne change et à la fin de l'époque archaïque on forge l'histoire du bélier coupé en morceaux qui ressort du chaudron sous forme d'un jeune agneau vivant. Pourtant, ce miracle n'était qu'un piège destiné à persuader les filles de Pélias de tuer leur père, qui avait usurpé le trône du mari de la magicienne, Jason.

Ce même thème a donné à Sophocle l'occasion d'enseigner à son public les conséquences désastreuses de la magie, alors que le sceptique Euripide assurait qu'aucun miracle ne pouvait exister. Tout n'était qu'illusion bien montée et la magicienne un charlatan rusé qui se moquait des femmes imbéciles et crédules.

A la même époque, Médée, qui, dans l'Athènes de Périclès est une figure négative, puisqu'elle ne cadrait nullement avec l'idéal de la femme invisible et soumise, prendra aussi le rôle de la marâtre qui, en tant qu'épouse du roi d'Athènes Egée, utilisera son art pour empoisonner Thésée. Le héros cependant découvrira la ruse et chassera la magicienne de la cité de la loi et de la juste raison.

En 431 avant J.-C. Euripide donnera à Médée une dimension nouvelle, émouvante, et définira son image pour les siècles à venir. Dans la tragédie du même nom, l'ancienne déesse, l'héroïne de l'antique légende prend corps et chair et devient une femme trahie qui, pour avoir donné plus qu'on ne pouvait lui demander, se voit rejeter comme un vieux chiffon. Avec son savoir, elle entreprend de venger une fois pour toutes les maux et les injustices subis par son sexe.

Assassinant les enfants qu'elle a portés pour lui et en le privant de la possibilité d'en avoir d'autres, la Médée d'Euripide condamne son époux infidèle à une castration sociale. Minutieusement préparé et accompli de sang froid, son acte effroyable dévoile le cœur du problème en désignant les conséquences extrêmes d'un système fondé sur l'inégalité et la polarisation des sexes qui mène à l'absurdité de considérer les enfants comme la propriété du père, étrangère à la mère aux yeux de la loi.

En bouleversant de fond en comble la loi naturelle et humaine, en vivant la douleur la plus extrême, Médée trouve la purification. Froide et distante, divinement inaccessible, elle apparaît à la fin de la tragédie et parle, grâce au dispositif scénique du deus ex machina, depuis le char du soleil, prête à abandonner pour toujours le monde des mortels.

 

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© MINISTÈRE GREC DE LA CULTURE - ICOM - COMITÉ NATIONAL HELLENIQUE
De Medée à Sapho - Femmes rebelles de la Grèce Antique
Athènes, Musée Archéologique National - 20 Mars - 30 Juin 1995