DYNAMIS
la force
La force est puissance, vigueur, solidité. C'est
le summum de la réussite - pro virili en latin. C'est
l'efficacité et la valeur d'une action. La force est principalement une
caractéristique mâle, combinaison de l'indiscutable supériorité de la
puissance masculine, de la force psychologique et de la stabilité
affective. La force est la caractéristique du vainqueur, qui prend les
décisions de son propre chef.
Dans les poèmes épiques et dans la tragédie, les femmes parviennent à
une stature héroïque lorsqu'elles réussissent, dans le tourment et la
douleur, à faire preuve de compréhension et d'endurance. Bien que les
femmes du mythe soient déterminées à prendre des initiatives et à faire
face aux situations avec une bonne mesure d'hostilité et de colère - des
femmes comme Pénélope ou Hécube, par exemple - elles sont le plus
souvent dans l'incapacité de réussir à changer en quoi que ce soit le
cours des événements.
A cet égard, la poésie semble en général refléter l'idéologie dominante,
telle qu'on la trouve cristallisée dans le discours aux morts de
Périclès :
"Et s'il me faut rappeler à celles qui vivront désormais dans le
veuvage, quelles sont les vertus qu'on attend de leur sexe, j'exprimerai
en une brève exhortation tout ce que j'ai à dire : on vous tiendra en
haute estime si vous ne vous montrez pas inférieures à votre nature de
femme et si vous vous conduisez de telle sorte que les hommes patrlent
de vous le moins possible, soit pour vous louer, soit pour vous
critiquer."
Thucydide, La guerre du Péloponnèse, II, 45
(Trad. Denis Roussel)
La seule force reconnue aux femmes, semble-t-il, est la force de
souffrir en silence. La nature féminine est estimée pour sa patience,
son silence, et une endurance sans plainte ; elle obtient la
reconnaissance sociale à une seule condition : qu'elle ne sorte pas de
la coquille de son anonymat.
Ainsi, les très rares femmes de la légende qui possèdent la force
transcendent-elles leur nature féminine. Elles font preuve d'un pouvoir
physique qui est rendu public par les compétitions sportives, la chasse
ou les prouesses guerrières ; elles peuvent aussi posséder la force
intellectuelle et psychologique de prendre des décisions et d'agir en
conséquence. Dans les deux cas, cette capacité s'avère finalement
monstrueuse, puisqu'elle s'oppose à la nature féminine telle qu'elle a
été définie.
La femme qui possède la force est dangereuse. Son pouvoir contre nature
est expliqué par sa nature d'étrangère, de barbare, comme les Amazones.
Elle est étrangère, barbare et magicienne, comme Médée et Cassandre.
Elle est belle plus que de raison, et peut par conséquent susciter un
désastre, comme Hélène. Elle est athlète, chasseresse, et dédaigne les
liens du mariage, vainquant et tuant tous ses soupirants, comme
Atalante.
Les femmes qui se plaignent de leurs souffrances, et plus encore les
femmes qui protestent contre le rôle qui leur est assigné dans la vie,
sont présentées comme des valeurs négatives - Elles sont les "mauvaises
femmes" de la poésie épique et de la tragédie, des femmes comme
Clytemnestre, Déjanire, ou, une fois de plus, Médée.
Et c'est là que se trouve la contradiction : dans leurs efforts pour
sauvegarder leur dignité humaine qui s'est trouvée blessée, ces
personnages décident d'agir. Leur action les amène à sortit de la prison
de l'attente et de l'expectative, mais en même temps a pour effet leur
expulsion de la "tribu des femmes".
"Ton âme est audacieuse, ton langage arrogant. C'est ainsi qu'à la suite
d'un acte sanglant l'esprit délire et pense que la tache de sang va bien
à son front. Méprisée, privée d'amis, tu devras payer coup pour coup."
Eschyle, Agamemnon, 1426-1430
(Trad. Emile Chambry)